mars 4th, 2015 par Jean Sebillotte
Le point faible de MH ? Sa fable n’est pas vraiment crédible. Son « futur » n’a aucune vraisemblance. Tant pis. L’auteur est suffisamment scientifique (un de mes bizuths à l’Institut National Agronomique de Paris) pour savoir que les sociétés n’évoluent pas si vite. Il avait déjà fait, selon moi, la même erreur pour des romans précédents. Pourquoi ? Parce qu’il tient à garder le même narrateur, ce qui réduit la durée du roman et donc celle de son scénario ?
Néanmoins la force de son roman n’est-elle pas d’envisager la possibilité de l’irruption de l’Islam sur la scène politique de France. Il laisse le lecteur croire que le poids de l’Islam est assez fort pour qu’il semble « normal » que se constitue rapidement un parti musulman. L’islam de France très divisé et non politisé deviendrait capable d’avoir son parti, la Fraternité musulmane, avec un dirigeant hors norme, Mohammed Ben Abbes. Celui-ci prendrait la suite de Hollande dans sept ans !
C’est de la politique fiction en accéléré. Le précédent de Napoléon montre que c’est possible ! Mais il y avait eu déjà 10 ans de révolution pour « déblayer le terrain ».
Ceci posé, MH envisage qu’une France avachie (qui se bat pourtant en Afrique et au proche Orient contre les islamistes-djihadistes) céderait le pouvoir à ce leader extraordinaire, ce Mohammed Ben Abbes qui deviendrait le successeur de F. Hollande à l’issue de son second septennat. Dans sept ans ! En très peu de temps seraient instaurée en France de nouvelles règles : séparation des sexes à l’école, enseignement public sous tutelle musulmane, enseignement privé devenant la norme, femmes interdites de métiers professionnels, instauration de la polygamie, mise à l’encanr de l’enseignement supérieur… Une des universités de La Sorbonne serait achetée par l’Arabie Saoudite dont l’influence serait considérable, etc.… La charia serait donc introduite sans douleur. Tout se ferait en douceur, sans véritable révolte, sans intervention des alliés… La France, corrompue par un christianisme – religion de femmes à l’opposé de l’islam religion d’hommes – devenu sans attrait et sans force, serait convertie assez rapidement à l’Islam.
Ben Abbes s’attèlerait à créer un empire nouveau autour de la Méditerranée, les Romains l’ont fait en tant de siècles, là ce serait facile et rapide (référence à Napoléon…).
Le héros, le narrateur, est un athée ou un agnostique, fort cultivé, universitaire de talent, admirateur de Huysmans sur le quel il a écrit une thèse remarquée qui sera la seule véritable production littéraire et professionnelle de sa vie – thèse qui lui permet de faire référence au christianisme. Cet homme, intelligent, obsédé par les femmes, encore sexuellement performant et soucieux de sa queue, buvant beaucoup, blasé, sans autre avenir que voir sa « plomberie » se dégrader, indifférent à la mort de ses parents séparés depuis longtemps, à l’humour lourd, incapable de créer une famille, indifférent à l’humanité, vit cette mutation douce sans trop de dommages. Il se convertit finalement à l’Islam, ce qui a bien des avantages pour lui qui va se voir doté d’une jeune femme et d’un salaire très conséquent. Il rejoint le camp des gens supérieurs qui doivent surplomber une majorité sans beaucoup de moyens pour vivre (un beau programme social !).
Car, ne pas l’oublier, Islam signifie soumission (à Dieu) et la soumission a bien des vertus. Quant à la conversion elle est facile : il suffit devant témoins de dire en arabe phonétique : « Je témoigne qu’il n’y a pas d’autre divinité que, et que Mahomet est l’envoyé de Dieu ». Apparemment, il n’est pas nécessaire de pratiquer le culte !
Il ne convient pas, dans ce livre, de rechercher une échappée vers la vie spirituelle. L’amour de Dieu et du prochain n’est pas le souci premier de l’auteur. On est loin du mysticisme religieux commun à toutes les religions. Les critiques soulignent le caractère veule du narrateur, la présentation d’un Islam unique, sunnite et arabe, un Islam « islamiste ». Pour Houellebecque, la féroce concurrence des Chiites (Iran, Irak, Syrie, Liban, Yémen et même Arabie Saoudite) et des Sunnites n’existe pas. L’Islam est un. Et cela je l’ai ressenti vivement. Le modèle n’est pas celui la Tunisie mais de l’Arabie Saoudite. Pour certains, MH est raciste et son livre est une charge contre un Islam caricaturé. Ce serait de l’islamophobie au second degré !
Je n’ai pas en vue une thèse universitaire à la quelle je pourrais consacrer sept ans de ma vie… Je ne puis juger l’œuvre de cet homme. Je remarque qu’il surfe toujours sur des sujets contemporains : ici le retour des religions et l’arrivée de l’Islam en France et en Europe. Il peut être très sommaire : selon son narrateur, il va de soi que progressivement l’Islam convertira le monde entier. Il est même prévu que la Chine et l’Inde y passeront ! Quant aux Amériques, il n’en est pas question !
**
Moi qui n’aimais pas Houellebecq, j’ai apprécié ce dernier roman pour son style, pour son personnage principal peu sympathique mais fort bien campé, pour la qualité du récit, pour avoir abordé le difficile sujet de l’Islam. C’est un roman, pas un essai. Peut-être suis-je un lecteur trop naïf ?
Peut-être, à fréquenter depuis longtemps la question de l’Islam, ai-je fait la part des choses ?
Une fois encore, la maîtrise de la langue est remarquable.
Pour le reste, pour des avis divers, que les lecteurs se rendent sur le net !
JS
Je signale ici un témoignage ancien de Danièle sur sa relation avec les livres de Houellebecq au long de sa vie. Cliquer sur ce lien du blog « Le clairon sonne la retraite ». http://leclairon.blog.lemonde.fr/2010/11/19/la-rentree-des-livres/
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février 25th, 2015 par Jean Sebillotte
Jean Salette est un très ancien copain. Nous avons préparé ensemble l’agro de Paris. À l’école où nous avons été reçus à une place près, nous avons suivi des chemins parallèles. La première année nous avons partagé une chambre exigüe à la Cité universitaire au pavillon de l’agro. Nos chemins se sont recroisés quand j’ai été nommé chef de la « mission eau-nitrates » chargée de faire progresser la lutte contre la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole. Jean Salette directeur de la station d’Angers de l’INRA était devenu le spécialiste reconnu des productions fourragères.
Son livre traite d’ailleurs de questions relatives à ces productions. Il y consacre plusieurs chapitres, les autres étant dédiés à des sujets variés mais en lien avec l’agronomie et la recherche.
Dans ce livre très personnel, l’auteur « suggère à [ses] lecteurs d’aborder ce livre sans un esprit très libre : les chapitres sont totalement différents l’un de l’autre et il n’y a pas d’ordre particulier pour les consulter. Peut-être même vaut-il mieux commencer par ouvrir le livre au hasard, quitte à relire ensuite, ce qui n’est sans doute pas la plus mauvaise méthode pour avoir une approche de sa diversité ».
Pennac, avec ses dix droits du lecteur, ne contredirait pas Jean Salette :
1 – Le droit de ne pas lire
2 – Le droit de sauter des pages
3 – Le droit de ne pas finir un livre
4 – Le droit de le relire
5 – Le droit de lire n’importe quoi
6 – Le droit au Bovarysme
7 – Le droit de lire n’importe où
8 – Le droit de grappiller
9 – Le droit de lire à haute voix
10 – Le droit de se taire
In Comme un roman.
Pour les plus savants, se reporter à l’analyse de Dunglas sur le site de l’Académie de l’agriculture en cliquant sur le lien suivant : http://www.academie-agriculture.fr/publications/les-academiciens-ecrivent
Pourquoi ne pas commencer par le chapitre dédié à Curnonsky, prince des gastronomes, ou
par celui que Jean S. a intitulé : « les mots pour dire les agrumes » ?
Jean Sebillotte
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décembre 5th, 2014 par Jean Sebillotte
Espionnage
Ceci est une pure fiction et toute ressemblance avec des faits et des personnes réels n’est qu’une coïncidence malencontreuse (Note de l’auteur).
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L’affaire éclata comme une bombe : un homme politique célèbre, H, aurait abusé d’une femme dans un grand hôtel de New York. Scandale mondial. L’homme était puissant. Il pouvait espérer une place de président dans son propre pays. Certains de ses amis s’y employaient.
C’est ce que nous ont raconté les médias. On nous a servi une histoire qui révélait la faiblesse d’un grand leader. Voilà une star de la politique, qui aurait violé une pauvre femme de chambre. Quel délicieux fumet d’un scandale dans l’upper class ! Gravissime. Du pain béni pour ces États-uniens qui, s’ils ne badinent pas avec la morale sexuelle, adorent les armes à feu et s’en servent volontiers…Ne sont-ils pas d’hypocrites donneurs de leçons ? La violence OK, but the sex is horrible.
Cette histoire a passionné les USA et le monde. Sexe, violence, pouvoir et argent, que rêver de mieux ?
Tout se passait en effet dans un monde où le luxe est banal et non dans quelque sordide ou anonyme banlieue. Et voilà un homme puissant condamné de façon préventive à de la prison et au bracelet électronique, gardé jour et nuit par des hommes qu’il devait payer ! Présumé coupable, à lui de se défendre ! C’est ainsi que vont les choses de la justice Outre-Atlantique.
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Inutile de repasser ici un feuilleton que certains ont suivi avec passion. Le « grand H », sortant tout nu de sa salle de bain, saute sur cette pauvre F. qui, cependant, a continué le ménage d’une autre chambre après avoir été ainsi violentée. H s’en va prendre tranquillement son avion. Il est arrêté à l’aéroport.
Pourtant, à écouter les infos à suivre les tables rondes, que sait-on d’objectif ?
C’est autrement qu’il faut aborder l’affaire..
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Seul Norbert Granger eut le courage d’affronter la vérité en prenant les choses à l’envers. Il était parti de constats simples.
Les USA regorgeaient d’institutions d’espionnage plus ou moins étoffées. Les officielles, CIA , NSA et autres, mais aussi services de l’armée de terre, de l’armée de mer, de l’armée de l’air, jusqu’à des officines sans nom plus ou moins reliées aux précédentes, chargées d’espionner les instituts officiels… Bref aux USA, comme partout, il existait un monde de l’ombre qui bénéficiait soit de privilèges explicites, soit de complicités entre personnages très haut placés, des gens qui n’étaient jamais sur le devant de la scène et qui échappaient aux lois ordinaires.
Dans ce pays vertueux régnait l’omnipotence des instances judiciaires, avec un droit coutumier, avec des instances juridiques multiples jusqu’au niveau suprême, occupées à appliquer des lois contradictoires, empêtrées dans un maquis juridique toujours plus confus avec des situations inextricables. Ainsi des humains étaient emprisonnés à Guantanamo, au vu et au su de tous, sans pouvoir être jugés aux Etats-Unis eux-mêmes ! Ils étaient en effet hors du champ juridique… pour des raisons juridiques. Ils semblaient condamnés à demeurer là ad vitam aeternam, au vu et au su du monde entier.
Où était la justice là-dedans ? Qu’il jette le premier pavé, celui qui pourrait expliquer cette situation. On croyait savoir ce qu’était la Justice, cette valeur universelle, comprise de tous. Or les juges américains, eux, disait-on, ne jugeaient pas vraiment, ils arbitraient le combat qui se déroulait devant eux selon les lois en vigueur. L’accusé se défendait contre un procureur. Il pouvait passer des accords en indemnisant grassement les victimes réelles ou supposés.
Mais revenons à Granger.
La manière même dont le scandale avait été géré était tellement embrouillée que l’on pouvait penser que c’était exprès. Ce fut la conclusion de Granger : cet embrouillamini était une habile construction, un véritable jeu d’acteurs chevronnés.
Selon lui, tous, le « grand H », la femme de chambre, les avocats, le procureur, la police bien entendu, étaient de mèche. C’était une vraie pièce qui avait été jouée au monde entier. Ce n’était pas un complot comme certains l’ont cru mais une comédie fort bien montée, fort bien jouée.
Il faudrait un livre entier pour entrer dans les détails. Disons l’essentiel.
Le « grand H » est tout bêtement un espion ! Au service de qui ? Là Granger hésite. Il y a plusieurs pistes possibles. Pouvaient être en cause les services du Mossad et certains services américains. « H » aurait été recruté très jeune comme agent dormant, un agent que l’on peut « activer » des dizaines d’années après. Pour le recruter, les services auraient exploité des affaires qui pouvait compromette sa brillante carrière d’universitaire. Une fois devenu agent secret à son corpos défendant, il pouvait se révéler utile à certains moments pour les gens qui l’avaient piégé, d(utiliser cette vieille affaire oubliée de tous .
Cela Granger en faisait l’hypothèse car il est difficile de dépister un agent dormant ! Mais cette thèse expliquait bien l’imbroglio. Granger, s’il ne démontrait rien, donnait à ce propos des informations déroutantes qu’il serait trop long de détailler ici.
Résumons.
La femme du « grand H » ? Elle était, elle aussi, un agent secret placé auprès de H, au point de l’avoir épousé. Cette femme, aimante certes, était aussi au besoin garde du corps et correspondante chargée de rendre compte.
L’agent traitant de « H » ? Un ex-conseiller de l’ambassade américaine à Paris, maintenant décédé, mais relayé aux USA, ce qui expliquait le passage à New York masqué par des considérations familiales.
F ? Cette femme était un agent du service américain impliqué, allié pour la circonstance à la CIA.
Les responsables de l’enquête ? « Approchés » de façon convenable, on leur avait vite fait comprendre qu’ils avaient affaire à une question touchant à la sécurité des USA. Ils étaient obligés d’obéir à de plus puissants qu’eux ! « Qui vous savez » couvrait l’affaire, leur avait-on dit. Les agents secrets ont le pouvoir d’enlever, de torturer, d’exfiltrer de leurs pays les ennemis du peuple américain. On parle de la Bastille. On daube sur le pouvoir absolu de nos rois… Qu’en est-il actuellement ? Pensez à Guantanamo.
Le procureur ? Un honnête élu, bien entendu mais lui aussi « averti » de son devoir.
Les avocats ? Tenus à l’écart. Ceux du grand H étaient assez fins pour deviner l’embrouille et s’en servir pour leur client, leur réputation n’étant entachée en rien. Celui de F. était surtout intéressé par l’odeur des dollars d’un procès au civil.
Les médias ? Manipulés et agités. Une telle affaire !
Le juge ? Intègre et si ce n’est dupé, du moins empêché d’intervenir véritablement. Le système, nous l’avons dit, ne lui donnait guère de liberté.
*
Avec cette approche de Granger tout ne devient-il pas apparent ?
F. accumule les fausses déclarations. Devient un témoin peu fiable. Le « grand H » joue la victime, ses amis pointent l’absence de la présomption d’innocence dans la justice américaine. Il est soutenu bien entendu par sa femme malgré des torts connus de tous. Il perd tout dans l’affaire : son destin national, son job du moment, sa réputation. Les services le tiennent toujours par des dossiers rendant impossible sa destinée glorieuse. La police, elle, n’a rien à perdre : n’a-t-elle pas très vite agi sans égards pour le puissant H ? Cela ne rassure-t-il pas l’Amérique ? Ses valeurs de Justice et d’Egalité des citoyens devant la Loi sont sauves (il faut de temps en temps faire oublier les statistiques accablantes sur ce point). Même avantage pour le procureur.
Pourquoi monter un tel spectacle à ce moment-là ? Evidemment pour empêcher H, cet agent secret dormant, d’accéder au plus haut poste politique d’un pays qui est quand même un ami. Le « grand H » ne risque-il pas de devenir un danger pour les services secrets et pour les USA eux-mêmes ? Il vaut mieux « exécuter » l’agent sans le tuer, ce qui aurait eu des inconvénients évidents.
Le « grand H » peut-il se défendre ? Impossible… Il peut tout juste limiter la somme qu’il doit payer. Sa réputation est perdue mais il est vivant !
Ayant établi ou plutôt rétabli cette histoire, Granger ne peut, bien entendu, ni l’exposer ni, encore moins, l’imposer à qui que ce soit, où que ce soit ! Il ne peut même pas écrire un livre. Les services veillent.
Jean Sebillotte
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octobre 23rd, 2014 par Jean Sebillotte
Une anecdote. Je n’avais jamais lu du Modiano. Combler cette lacune s’imposait. Cet été, j’ai donc lu L’herbe des nuits choisi un peu au hasard parce que c’était un livre de poche et voici ce que j’en ai écrit à mes petits camarades de notre groupe de lecture :
Patrick Modiano – L’herbe des nuits. Sur l’idée d’un retour en arrière dans sa vie et grâce à un carnet noir, le héros revisite son passé énigmatique et flou…À l’époque, il était apprenti écrivain. Sa compagne ( ?) d’alors a-t-elle tué et qui ? Et pourquoi ? Peut-être ai-je été distrait, je n’ai pas retenu la réponse !
Mais j’avais recopié sur ce blog une interview de Patrick Modiano À propos de secrets d’écriture. Je m’attachais alors à la démarche de l’écrivain et non à son résultat ( voir article du 20 avril 2013). J’avais donc oublié cela…Or en rentrant de nos vacances, le groupe décide de lire le dernier Modiano.
Notre flair a été largement récompensé. Quelques jours après notre décision, nous étions largement informés du prix Nobel qui lui était attribué. Nous nous sommes félicités pour notre flair !
Ce blog n’a pas été pris de court !
La suite…Plus tard !
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