Catégorie: Ecriture
février 5th, 2014 par Jean Sebillotte

Nostalgiques bouchées au chocolat noir
Devant Charles, de petits machins noirauds, à l’assise cylindrique, dont la tête en coupole aplatie pourrait appartenir à de jeunes cèpes tête de nègre qui viendraient à peine d’émerger du sol. Ou bien, de tels bidules seraient-ils des boules de lave refroidie et craquelée, trouvées au flanc d’un de nos volcans démoniaques, ou, plus étrange encore, sur quelque planète inhabitée ?
La réalité est plus simple, triviale et ménagère. Ce sont des pâtisseries au chocolat, d’un noir homogène, d’une forme trop régulière pour être le fruit de la nature.
Annie les a confectionnées, ce matin même, pour son ami.
Il saisit l’une d’elles et la hume. Le parfum en est profond, exotique et brutal. Charles la soupèse. Sa légèreté lui suggère l’emploi de la farine. Son amie lui apprend qu’elle a utilisé aussi de l’amande en poudre, d’où la texture grenue du gâteau. Il en croque une bonne moitié qui emplit maintenant sa bouche. Sa langue explore le mélange savant et les miettes du gâteau. Il salive. Le goût du chocolat noir, amer et fort, domine celui, imperceptible, de l’amande délicate. Cette merveille odorante le renvoie à l’Afrique tropicale et à son enfance. Pour le consoler de peines enfantines, on lui donnait cette friandise cuite à la maison. Il en observait religieusement la fabrication et se réjouissait de la voir sortir du four à l’haleine sucrée et brûlante.
Charles avale la portion qui reste devant lui, avide de jouir de l’arrière-goût de cette petite chose savoureuse au parfum si prononcé. Il se ressert et se souvient, alors, de la tablette de chocolat noir que lui offraient, le dimanche, ses correspondants et qu’il dévorait le soir même après avoir retrouvé sa pension, incapable de maîtriser sa gourmandise et apaisant ainsi, peut-être, son chagrin d’avoir à reprendre la vie monotone et triste du pensionnat.
Il remercie Annie, l’embrasse et enfouit son visage dans sa chevelure noire dont il respire le parfum grisant.
– Que donnerait la même recette avec le chocolat au lait, se demande-t-il ?
Jean Sebillotte
Publié dans Ecriture, Nouvelles Etiquette: Bouchée, chocolat, nostalgie
janvier 26th, 2014 par Jean Sebillotte
On croit innover…Et pourtant le calligramme n’est pas une invention récente. Selon wikipedia qui est bien commode, les premiers seraient attribuées au poète grec Simmias de Rhodes. On passe au IXe puis à Rabelais au XVIe (sa dive bouteille) puis au XIXe puis à Guillaume Appolinaire. Il semblerait qu’il faille au lecteur « chercher le sens et la direction des phrases, chose qui paraît évidente dans un texte classique. »
Dans ce texte composé récemment, le sens est assez surréel, mais le forme suggestive, j’espère.
Verseur de vers
Le sévère travers des pervers déversés dans le vermouth
Le vertige vertueux du trouvère versificateur
Le revers de l’avers de ce vert verbeux
La verveine versée dans le verre
Et le verbiage en verlan
Et la vertu du verbe
Et le vermisseau
Et le verseau
Versatile
Dévers
Et persévère
Le vertige verdi du verre versant
Jean Sebillotte 2013-2014
Publié dans Ecriture, Poesie Etiquette: Calligramme, verseur de vers
janvier 26th, 2014 par Jean Sebillotte
Il existe des secrets de famille.
Hubert Raucourt, généalogiste amateur, laisse à sa mort, les dossiers de ses recherches. Dans l’un d’eux, il soulève le cas d’un certain Pierre qui porte son nom, d’une branche voisine de la sienne.
Il s’aperçoit qu’il n’a rien au sujet de ce parent si ce n’est sa date de naissance. Il rencontre alors ses arrières petits-neveux. Les mieux informés lui font part de la légende familiale selon la quelle cet ancêtre était un mauvais garçon parti au Canada aux alentours de 1890 où il trouva la mort. Notre enquêteur est autorisé à fouiller dans la malle des vieux papiers conservés dans le grenier de la demeure ancestrale. Grâce aux lettres, il dispose alors d’un tableau évocateur.
Henriette, la mère de l’intéressé, veuve de son notaire de mari depuis 1880, devait élever ses enfants, Pierre, Clémence et Albert. L’étude était temporairement confiée au premier clerc. La famille vivait aussi du domaine rattaché à la demeure ancestrale. Mais les temps étaient durs : la fortune avait été laminée par la terrible crise des années 1880-1890, bien oubliée depuis. Henriette, au caractère épouvantable, adulait son fils aîné. Jeanne préparait son trousseau et Albert, au séminaire où il était inscrit par mesure d’économie, se préparait à reprendre l’étude à sa majorité. Les Raucourt habitaient un modeste village bourguignon où se réunissaient et s’invitaient les membres de la petite société bourgeoise locale. Henriette faisait tout pour maintenir son rang, mais, à la maison, c’était la misère en col blanc. Dans ces mêmes années, le chef-lieu du canton devenait une petite ville ouvrière nourrie par le canal et surtout par le chemin de fer, un monde anticlérical et rouge. Pierre selon les lambeaux de la légende, ne faisait rien, si ce n’est de boire, de lutiner les filles et d’accumuler des dettes, ne voulant pas, apparemment, reprendre l’étude ou étant incapable de le faire.
Rien sur Pierre. Pas une lettre. Pas une allusion. Quittant les archives familiales, notre généalogiste, passant à d’autres sources, découvre que Pierre a vécu de 1905 à 1942 dans le Centre de la France comme artisan menuisier sans laisser d’enfant !
Stupeur ! Questions.
Comme tout historien mettant au jour le pan entier d’une affaire inconnue, fut-elle minuscule, Hubert se régale de ce secret soigneusement dissimulé. Selon lui, Albert est un jeune homme, jaloux d’un aîné injustement adoré, qui a tout intérêt à ne partager qu’avec sa sœur les biens familiaux. Or c’est Albert qui, devenu notaire à sa majorité, s’occupe de l’héritage quand sa mère décède au début du 20e siècle et c’est encore lui qui, devenu maire, peut éviter de porter, en marge du registre d’État-civil de la commune, la mention du décès de son frère qui lui a été notifié en 1942. Très suspect !
Dans un texte précis, Hubert, de sa petite écriture fine, relate que ses cousins ne veulent rien savoir de cette histoire car « on n’attente pas à la mémoire d’un mort. » Il écrit devoir abandonner ses recherches.
Albert, notaire et maire, reste donc pour ses descendants un homme intègre, très moral, très autoritaire, très rigide, d’une vertu sans faille.
Ce n’est pas tout. Hubert laisse aussi un texte où il tente d’expliquer cette étrange disparition sans mettre en cause les turpitudes possibles de son frère. N’est-elle pas organisée avec son accord ? Pourquoi n’exige-t-il pas sa part d’héritage à la mort de sa mère ? Pour notre généalogiste, cet aîné, supposé disparu, a consenti à son exil sans retour. Peut-être à la suite d’un conseil de famille motivé par ses dettes, son inconduite, ou quelque chose de plus grave comme une rixe voire, ou, horreur, l’intervention du sous-préfet et des gendarmes parce qu’il s’est compromis dans une sombre affaire anarchiste.
Nous, nous avons une autre explication à la fuite de Pierre : il a séduit une fille du pays, est le père d’un enfant né dans le coin – au village même, peut-être, la famille l’a éloigné alors avec son accord, tout en dotant la jeune mère et en s’occupant de l’enfant, il a des descendants en Bourgogne qui ignorent tout de lui.
N’est-ce pas un comble qu’Hubert, qui a passé tant d’années à établir des filiations, taise l’existence possible d’une descendance de Pierre ? Poids du secret de famille sur l’inconscient de notre historien familial ?
J. Sebillotte (décembre 2012-janvier 2013)
Publié dans Ecriture, Nouvelles Etiquette: nouvelle, Secret de famille
janvier 26th, 2014 par Jean Sebillotte
Grâce à une amie, fidèle lectrice de ce blog, j’ai pris goût à réaliser des cartes (six dans une feuille de papier Canson, par exemple) avec un texte de mon cru et une illustration pour l’accompagner.
J’en donne ici quelques exemples.
Ce jeu demande du temps. Je pense qu’il faut lui consacrer quelques heures, le temps de trouver textes et idées d’illustration et de réaliser quelques brouillons, de refaire une carte malvenue.
La récompense est là, dans le plaisir de la création et dans celui du don.
Essayer, vous verrez !


Publié dans Articles, Dessins, Ecriture, Peinture Etiquette: cartes illustrées, dessin, jeu d'écriture et de dessin
janvier 1st, 2014 par Jean Sebillotte
Le nouveau recueil de poésie d’Annalisa Comes a été publié il y a peu par l’Harmattan. J’avais longuement évoqué son Ouvrage de dame dans un article de février 2013.
Ici, je serai plus bref. Je reproduis tout d’abord un premier poème que j’ai aimé. Il attirera, je l’espère, l’attention du lecteur…
Ancora in Occidente
Di colpo alberi, folate del vento
Contro le candele
e ondate, senza dare la mano.
La schiuma è un lievito leggere.
Encore en Occident
D’un coup arbres, rafales de vent
Contre les bougies
Et vagues, sans donner la main.
L’écume est une levure légère.
Comme dans Ouvrage de dame, on lit, à gauche, le texte italien, c’est-à-dire l’original, et, à droite, le texte traduit en français.
Ce nouvel opus est plus concret que le précédent, les textes sont moins allusifs et souvent plus longs. L’eau en fait l’unité générale comme l’illustration de Fred Charap dont les dessins en noir et blanc accompagnent le livre. Le noir intense des originaux a malheureusement disparu à l’impression, à l’exception de l’image qui orne la couverture, ce voilier perdu dans l’immensité grenue.
Dommage, et tant pis. Car nous restent 73 poésies regroupées sous le titre général, Hors terre ferme, avec en guise de seconde partie : Mer & autres eaux.
Ces poèmes sont d’abord à lire en italien, me semble-t-il, dans cette langue chantante qu’Annalisa Comes a utilisée pour nous présenter son œuvre le neuf décembre dernier à Paris. À défaut, commencer par le français…
Pour mon plaisir et, je l’espère, le vôtre, voici un fragment de L’Île aux moines :
…
In questo paese piatto
Dove tutto è riva
I gabbianni si arrampicano col loro fischio da bollitore
…
Dans ce pays plat
Où tout est rive
Les goélands montent avec leur sifflet de bouilloire
Jean Sebillotte
Publié dans Lectures, Poesie Etiquette: Annalisa, Comes, hors terre ferme, illustration, italien