Catégorie: Ecriture

décembre 19th, 2014 par Jean Sebillotte

N’est-il pas terriblement banal de rappeler l’importance essentielle de la contrainte ? Pourquoi ajouter ces lignes à toutes celles qui on traité le sujet ? Ne faudrait-il pas lire et rendre compte du dernier opus savant, la dernière thèse centrée sur cette question ? Ne faudrait-il pas évoquer les mathématiques, les sciences dures, etc.

À quoi, j’objecte qu’avec une telle attitude, je sombrerais dans l’essai et entamerais à mon tour un ouvrage. Je n’ai rien du savant épistémologue apte à traiter de ce sujet.

Je l’aborde donc à ma façon empirique, et au ras du sol, de vieux peintre et de jeune écrivain.

En peinture, nous respectons le plan borné par des limites admises ou choisies, la figuration ou non, etc. En dessin idem. Sauf à peindre des surfaces courbes, des statues, des plafonds…Un tel fera des monochromes, Soulage ira plus loin se bornant en général au noir et au tableau plan. Voilà l’usage de contraintes extrèmes…

En écriture, le plus célèbre exemple de l’usage de la contrainte n’est-il pas celui de la poésie ? Les formes en sont déterminées  par l’auteur lui-même ou lui sont imposées par le milieu dans le quel il baigne.

Prenons le haïku. En voici les règles, les contraintes. Je cite ici diverses sources qu’il est inutile de citer. La règle essentielle : dire des choses simples avec des mots simples dans un style simple. Plus précisément se borner à 17 syllabes réparties en trois lignes de 5, 7, 5 syllabes ; faire en sorte que le haïku puisse être lu à haute voix en un seul souffle ; introduire le plus souvent deux images, la première situant le poème dans le temps et l’espace, la seconde montrant un élément inattendu, insolite, étonnant ; séparer les deux images d’une césure ou d’un mot-pivot pour éviter que le haïku soit une même et seule phrase ; utiliser un mot ou une expression de saison qui situe le moment de l’année ; ponctuer selon diverses possibilités et ne pas utiliser de majuscules ; pas de rimes, écrire au présent ou à l’infinitif, pas ou très peu de verbes.

En Europe, l’exemple n’est-il pas le sonnet ? Tout le monde ou presque a appris en classe les règles correspondantes. Voilà des siècles que les poètes écrivent des sonnets. Une mienne relation m’en a fait goûter un tout récemment.

Le célèbre Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) nous montre l’immense champ des possibles en matière de contraintes…tant en poésie qu’en prose. Pensons à Queneau, à Pérec et à tant d’autres… On m’a offert un gros bouquin cartonné (Merci Marie-Noëlle) édité chez Larousse en 2014, qui a pour titre OULIPO L’abécédaire provisoirement définitif, publié sous la direction de Michèle Audin et Paul Fournel.

Aux amateurs de jeux d’écriture, il y a dans cet ouvrage de quoi se délecter…

Modestement sur plus de 200 pages de mon roman à venir prochainement, j’ai banni le que soit seul soit dans la finale de nombreux mots, comme queue, patraque, attaque, etc., et des mots aussi répandus que puisque, lorsque, etc.  Mon style en a été changé !

*

Mais n’oublions pas que Bashô, auteur célèbre de haïkus, a dit ceci : Les formes sont faites pour que l’on s’en écarte. Et pour s’en écarter, il n’est point de recette toute faite. J’ajoute que l’art est obéissance et transgression ! Sinon comment évoluerait la création dans tous les domaines ?

JS

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[i]  Celle-ci ou peut être marquée par un signe de ponctuation ou un mot. Le signe (virgule, point-virgule ou tiret) est de préférence placé à la fin d’une ligne. Le mot pivot est situé à l’intérieur d’un vers

 

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décembre 11th, 2014 par Jean Sebillotte

Si Dieu est le créateur de notre univers, il a inventé pour ce dernier, qui lui obéit,

le temps et l’espace, le hasard et les lois. Cet univers obéit au créateur. Sauf peut-être l’Homme.

*

Je joue avec cinq dés. J’ai droit à trois lancers.

Premier lancer : deux trois sortent. Les autres nombres sont un, quatre, six. J’ai une paire. Avec un nouveau lancer des trois dés qui n’affichent pas un trois, je peux espérer réaliser un brelan, un carré, un yam ou tenter un full ou une suite.

Deuxième lancer : un trois sort. J’ai un brelan sur le tapis. Je peux espérer le coup suivant un carré, un full, un yam. Je ne peux plus avoir une suite.

Troisième lancer : les deux dés me donnent un trois et un quatre. J’obtiens un carré.

J’entame une seconde partie. Etc.

À chaque lancer le hasard détermine le résultat. Il s’impose à moi. Je ne peux rien prévoir. Je peux seulement parier. Si je jouais un nombre très élevé de fois, le résultat tendrait  statistiquement vers ce que déterminent les lois de probabilité. Là, je peux m’appuyer sur le fait qu’il est plus probable que j’obtienne un double plutôt qu’un brelan, un carré plutôt qu’un brelan, etc. Mais il reste qu’à chaque lancer, c’est le hasard qui me donne plus ou moins de réussite.

*

 Dieu ne joue pas aux dés, a dit Einstein mal à l’aise avec le hasard dans la science. Qu’en sait ce savant ? Je crois que Dieu doit jouer aux dés. Il se soumet ainsi au hasard et c’est le propre de ce jeu-là, son seul intérêt.

Mais Dieu est-il prisonnier de l’univers qu’il a créé ? Il a donné en partage au monde le hasard qui régit le mouvement des particules, le jeu de dés, la distribution des cartes.

Si Dieu sait à l’avance le résultat de mes lancers de dés, il peut mesurer ma chance.

Mais peut-il  influencer ma partie ? Ce serait s’opposer à sa propre création .  Que comprendraient les hommes si Dieu à chaque lancer changeait la règle, s’il abolissait à sa guise le temps et l’espace, le hasard et les lois ?

Dieu respecte sa création.

En est-il prisonnier ?

 *

 Et alors, dit mon interlocuteur, que fais-tu de Jésus qui naît d’une vierge, qui a Dieu pour père ?

– Ça, c’est un miracle, lui dis-je.

– Alors Dieu ne respecte pas les lois du monde, me rétorque l’autre.

– C’est ça le miracle. Tu n’es pas obligé d’y croire ! Dieu te laisse libre. Le hasard s’impose à toi, créature enfermée dans ce monde et ses lois. Mais, lui, n’a-t-il pas le droit de faire des miracles ?

– Ça me choque.

JeanSebillotte – Novembre-décembre  2014

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novembre 1st, 2014 par Jean Sebillotte

Portrait de ModianoUn article du Monde revient sur Modiano en partant de l’évènement, comme tout bon journal doit le faire. Un évènement minuscule à vrai dire. Une ministre, Fleur Pellerin, n’avait pas lu le dernier livre de Modiano ! MADAME FILLIPETTI en profita

Je reproduis ici l’article en question.

 

Modiano, ni lu ni connu

La Bible a inventé la Chute ; la médecine a théorisé la rechute ; la politique les met en pratique tous les jours. Depuis qu’elle avait démissionné du ministère de la culture, fin août, Aurélie Filippetti s’était tenue coite : pas une pique contre sa successeur, Fleur Pellerin, avec laquelle elle entretient pourtant des relations vipérines. Que des égards épars, décochés avec une apparente sincérité. Et puis, miséricorde, la Messine a fini par céder à ses vieux démons.

C’est un écrivain sexagénaire, Patrick Modiano, qui a excité la tentation – à son corps défendant. Sur le plateau de Canal+, dimanche 26  octobre, Fleur Pellerin admettait n’avoir lu aucun roman du Prix Nobel de littérature 2014, voire aucun livre du tout, depuis qu’elle était entrée au gouvernement, au printemps 2012 :  » J’avoue sans aucun problème que je n’ai pas du tout le temps de lire depuis deux ans. Je lis beaucoup de notes, beaucoup de textes de loi, les nouvelles, les dépêches AFP, mais je lis très peu. « 

Comme il se doit, la confession consterne l’establishment germanopratin, et même au-delà – outre-Atlantique, l’outrage figure en bonne place dans le New York Times du 28  octobre. Interrogée le même jour sur LCI, Aurélie Filippetti saisit habilement la perche, illico transformée en batte de base-ball :  » Sans les livres, la vie serait une erreur « , cogne l’ex-ministre, paraphrasant un antique précepte de Friedrich Nietzsche ( » Sans musique, la vie serait une erreur « ). Avant d’ajouter, avec un art consommé de l’antiphrase :  » Je n’ai pas à commenter l’action ou les déclarations de mon successeur. Vous comprenez bien que ce ne serait pas courtois de ma part. « 

Subtil dosage de vengeance froide et de gorges chaudes, la déclaration fait le bonheur des robinets d’eau tiède, qui la coulent fissa dans leurs flux d’actu : les gazettes gazouillent, les réseaux socialisent, les chaînes d’info continuent, et voilà de nouveau le mot  » Modiano « , trois semaines après l’annonce du Nobel, aspergé à jets réguliers sur la voie publique. On n’ose imaginer l’accablement qui a dû saisir l’écrivain : l’actu et ses éclaboussures, très peu pour lui. Le réel, il le préfère  » vaporisé «  – l’un de ses verbes favoris – sur les fenêtres de la fiction.

Disque rayé

Il fut le premier, du reste, à faire remarquer l’étrangeté de la situation dans laquelle le plaçait l’obtention du Nobel :  » C’est un peu irréel « , avait-il réagi, après l’annonce du prix, le 9  octobre. Pour récompenser son écriture brumeuse, flottante, cette manière de condenser, par fines gouttelettes, des époques, des gens et des lieux évanouis, voilà qu’on lui versait un tsunami médiatique sur la tête, avec pluies de tweets, cascades de flashs et giclées de JT.

A ce titre, l’attribution du Nobel à Modiano apparaîtra sans doute, avec le temps, comme un contresens – une  » erreur « , pour reprendre le mot de Nietzsche. On peut en effet estimer que les brouillards de son œuvre ne gagnent pas forcément à être éclairés par les néons de l’actu ; que ses lignes ne sont pas très solubles dans les  » timelines  » des réseaux sociaux ; que c’est l’inactualité de ses romans, en fin de compte, qui rend leur lecture si précieuse.

Dans les livres de Modiano, la chronologie est floue, la mémoire faillible, les personnages sans âge : nulles dates, ou très peu, quand l’époque n’est qu’agendas, calendriers, anniversaires, commémorations, mémentos,  » reminders  » – pour rappel, on célèbre ces jours-ci les 30 ans de la Fondation Cartier, les 40 ans de Massacre à la tronçonneuse, les 100 ans de Marguerite Duras (à ce compte, vivement les 77 ans de Sept ans de réflexion, en  2032).

Chez Modiano, amours et amitiés s’effilochent, se perdent, se ratent. Une discrétion à rebours du zeitgeist, qui n’aime rien tant que mettre en scène des relations qui durent : voyez tous ces héros de séries TV, persévérant dans leur être, saison après saison ; écoutez tous ces vieux couples, vieilles branches, vieilles canailles fredonner main dans la main, cœur contre cœur, avec détour par le porte-monnaie du spectateur (Jay-Z/Beyoncé ou John Cale/Patti Smith hier ; Laurent Voulzy/Alain Souchon, Sting/Paul Simon ou Johnny Hallyday/Jacques Ductronc/Eddy Mitchell demain).

Le Paris de Modiano est aussi indéfini que les articles et pronoms de ses phrases : c’est l’écrivain des  » zones neutres « , des no man’s land, des narrateurs nomades, rétifs à la géolocalisation généralisée. Sa syntaxe est douce, suspensive, rongée par les silences et les ellipses ; ici, point de smileys, de gifs et d’exclamations imagées ; ce style-là est allergique à l’iconophilie ambiante.

Dans un livre récent, Dans le café de la jeunesse perdue (Gallimard, 2007), Modiano fait d’un concept nietzschéen,  » l’éternel retour du même « , le leitmotiv du récit. Leitmotiv déficient, cependant, qui tourne en boucle comme un disque rayé : très vite, la rengaine des vieux copains flanche, les retrouvailles capotent, le  » même  » ne revient jamais vraiment – procédé exemplaire, en somme, de l’auteur de Du plus loin de l’oubli.

S’il a lu Nietzsche, il n’est pas dit que Modiano se jette, à l’avenir, sur les romans d’Aurélie Filippetti ; les personnages modianesques ne sont pas du genre fanfaron ; ses héroïnes ne sont pas de celles qui persiflent, citent et signent avec aplomb. Elles sont capables, en revanche, d’épanchements inattendus, oubliant leur époque et leur situation pour se livrer soudainement, à nu ; prises de remords, il leur arrive souvent de se taire, ou de faire machine arrière, dans la foulée.

Quelques jours après sa confession, Fleur Pellerin rectifiait le tir :  » Je n’ai pas dit que je ne lisais pas, j’ai dit que je lisais moins… « , modulait-elle, modianesque jusqu’au bout des ongles.

Aureliano Tonet

Le Monde des 1 et 2 novembre 2014

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octobre 27th, 2014 par Jean Sebillotte

Deux polars pour qui les aime
J’aime beaucoup les enquêtes de Wallander. J’ai tous les livres que  Mankell lui a consacrés. Il avait arrêté la série à mon grand dam.. Apparemment il la reprend…au moins une fois avec Une main encombrante

 Selon l’éditeur : C’est l’automne en Scanie avec son lot de pluie et de vent. Wallander est en fin de carrière et se sent au bout du rouleau. Il aspire à une retraite paisible, rêve d’acheter une maison à la campagne et d’avoir un chien. Un collègue lui fait visiter celle d’un vieux parent. Wallander s’enthousiasme pour l’ancienne ferme et les lieux alentours, et pense avoir trouvé son bonheur. Pourtant, lors d’une dernière déambulation dans le jardin à l’abandon, il trébuche sur ce qu’il croit être les débris d’un râteau.

Né en 1948, Henning Mankell partage sa vie entre la Suède, le Mozambique, et la France. Lauréat de nombreux prix littéraires. Outre la célèbre « série Wallander », il est l’auteur de romans sur l’Afrique ou des questions de société, de pièces de théâtre et d’ouvrages pour la jeunesse

 Le dernier livre d’Elisabeth George s’intitule  Juste une mauvaise action. Voici aussi un auteur que j’aime. Je lui ai consacré un article dans ce blog (voir à 26 août 2012). Je n’ai pas lu ce livre….

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octobre 23rd, 2014 par Jean Sebillotte

Comment Poèmes incomplets m’est-il parvenu ? Je ne le sais pas. M’a-t-on donné ce livre ? L’ai-je acheté ? La mention 2 € apparaît sur la page de garde. L’ouvrage, édité par Firmin Didot, est beau avec couverture imitant celle de la collection NRF. 108 pages, quelques 75 poésies, une préface de Jean Guitton.  Le livre a été édité en 1979. Un sous-titre dans l’ouvrage précise la période concernée : 1926-1971. Une citation de La Fontaine « Diversité c’est ma devise, » au dessous du titre intérieur.

Jean Berthet a à son actif 33 ouvrages détaillés en deuxième de couverture dont sept épuisés, dont plusieurs ont été préfacés par de grands auteurs – Carco, Cocteau, Marcel Achard  – et illustrés par Peynet, Cocteau et d’autres.

La forme est sage, classique, la rime toujours présente. J’ai beaucoup aimé les poèmes que j’ai lus.

Berthet aura été un … UN PAS QUI PASSE…

                               Un pas qui passe, qui s’efface,

                                              Et ne reviendra pas –

                            Le seul, le seul, quoique l’on fasse

                            Qu’on reconnaisse entre cent pas !

                            Etc.

(Page 85)

Il y a de beaux vers dans cet ouvrage, j’en cite deux

                       Sous les arbres au feuillage d’ambre

                      Vont les ombres jaunes de novembre

 

PS – Jean Berthet est, selon wikipedia,  un poète français né le 12 avril 1911 à Rouen et mort le 17 juin 2002 à Paris. Il a reçu le grand prix de la Société des poètes français en 1994 pour l’ensemble de son œuvre. Il utilisa le pseudonyme de Jean Chicaille (d’un personnage de Paul-Jean Toulet, qui francisait ainsi un nom chinois).

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