Au cœur de la pandémie qui me cloîtrait, culpabilisé peut-être de prendre plaisir à lire des romans policiers, lecture trop facile et futile, il fallut, après que j’ai lu quelques 130 pages de Proust – plus particulièrement de La Prisonnière où l’auteur nous conte longuement une soirée, organisée par le baron de Charlus chez Mme Verdurin, la Patronne, dont le résultat est entre autre de conduire à la disgrâce de ce dernier au sein des proches de cette dame qui règne étonnement sur les quelques personnes qui forment le noyau de son salon –, que je me misse à vous écrire dans la forme si particulière de cet étonnant auteur, adulé de certains lecteurs sincères mais aussi de ceux qui feignent, encore de nos jours, de relire « La recherche » ou d’autres, plus originaux, moins snobs, comme moi, qui avais été séduit de façon inattendue, lors d’un séjour obligé à Saumur, du temps de mon service militaire, par une lecture lente et presque journalière de cette prose immense (sans que rien ne m’y eut obligé alors, si ce n’était le cadeau que me fit un oncle de l’œuvre entière, privée des deux derniers livres, dans une édition ancienne, d’un papier jaunâtre et craquant qui faisait penser à la couleur, si ce n’est à la texture, de quelque éclat de bois vieilli), de cette écriture dont il ne me restait que l’atmosphère et dont j’oubliais tous les méandres, pour ne me souvenir que d’un monde disparu déjà au début du siècle dernier, alors même que je subissais cinquante ans plus tard une formation qui ne m’était guère propice, l’écriture de Proust insolite dans une caserne, quels qu’en eussent été les mérites, n’aurait certainement pas pu m’aider à ce que je me rendisse compte plus tôt de mon égarement et, là, il était trop tard pour que je prisse la décision que j’eusse dû assumer plus tôt, talonné alors par des contingences matérielles qui me contraignirent à ce choix antérieur et malencontreux d’obéir à l’autorité.
Alors mon effet confinement à moi c’est Zola ! Je lis dans le désordre en fonction de ce que j’ai sous la main : le Docteur Pascal, l’œuvre, la curée mais je vise la systématisation ! C’est toujours pareil : je ressens une angoisse sourde pendant les 3/4 du livre, c’est le drame qui avance à bas bruit et à la fin, je vis la chute vertigineuse des personnages. Grandeur et décadence ! Déterminisme implacable ! Violence sociale inhumaine et douloureuse.Est-il si doux de frémir dans son canapé ou sa chaise longue ? Non car quand le cœur est pris à ce point, il en reste des traces et la fusion qui est née dans l’esprit n’a pas fini de faire son tour.
N’est-il pas normal qu’une oeuvre forte laisse des traces ? J’ai lu dans le passé La bête humaine, La faute de l’abbé Mouret, La terre et autres. Voici une critique de La terre à sa sortie:
À se boucher le nez
Par un juste châtiment de la perversion volontaire d’un talent consacré à la glorification du matérialisme. M. Zola en arrive présentement à de telles abjections qu’il révolte ses plus anciens et obstinés admirateurs
Dans L’Évènement un critique examine certains chapitres du nouveau roman La Terre que publie M. Zola dans Gil Blas et qui, d’après ce résumé, lui-même impossible à reproduire, donne l’idée d’une immonde vautrée dans les derniers bas-fonds de l’ignoble. Citons seulement cette observation jetée en passant :
C’est à se demander si cette obsession de la chose salaude et basse, cette hantise du mal malpropre… n’est pas chez l’auteur de L’Assommoir, de La Faute de l’abbé Mouret, de La Conquête de Plassans et de tant d’autres œuvres, un commencement de folie maniaque, un éréthisme stercoraire, une hystérie cérébrale. En tout cas, il y a certainement fissure. Le véritable nom du roman actuel de M. Zola n’est pas La Terre, mais la Tinette ; quand la prose d’Émile n’est pas à se calfeutrer les oreilles et la face, elle est à se boucher le nez. Voilà bien, on effet, le dernier terme de la littérature au goût du jour et la dernière impression qu’elle doit produire.
L’Univers, 8 août 1887.
C’est pas à l’eau de rose non plus…
Ah oui quand-même ! On sent que c’est un critique qui avait du flair !
Et comment et au pif même à sa façon d’écrire