septembre 25th, 2012 par Jean Sebillotte

                    Texte à lire par des gens courageux ! Les moins concernés peuvent sauter aux conclusions en fin de texte (points 5 et 6).

C’est l’extrait d’un dialogue mené sur le forum « digression » en août 2008. Ces points de vue trouvés un peu par hasard (à moins qu’ils m’aient été indiqués par un ami) m’ont intéressé car on y évoque l’écriture et la peinture, ce qui correspond au contenu de mon blog.

Quatre écrivains échangent leurs points de vue en partant d’un texte de Pierre Rivière sur la « Forme et le rythme en écriture ?» Cédric introduit la peinture. Bergame intervient puis Alekhan. Pierre Rivière et Cédric concluent.

On peut approfondir en consultant l’échange intégral. Il suffit de cliquer sur le lien suivant http://digression.forum-actif.net/t254-forme-ou-rythme-en-ecriture#1310

 

1 – Forme ou rythme en écriture ? par Pierre Rivière le mardi 5 août 2008

« Juste une petite question comme ça.

Quand vous écrivez, considérez-vous plus le rythme ou la forme?

C’est-à-dire est-ce que vous pensez plus à la musicalité du texte en utilisant les points, les virgules, les points-virgules, etc. pour varier le rythme auquel le texte est lu? ou est-ce que vous pensez plus à la forme, c’est-à-dire aux similitudes phonétiques (qui diminue l’espace entre les mots), aux jeux de références subtils (par exemple, j’utilise le point-virgule pour superposer l’une par-dessus l’autre deux idées qui réfèrent à un même sujet précédemment énoncé, donc le point-virgule est un retour aux mots passés), à la condensation de plusieurs mots en un pour exprimer l’étouffement d’une phrase (par exemple la dé’ciale = détresse sociale (l’exemple est esthétiquement laid, je ne l’utiliserais pas dans un texte) ou utiliser la mise entre parenthèses pour creuser un espace interne au texte (Raymond Roussel faisait beaucoup ça, avec les notes en bas de page aussi) ou les tirets « – insérer un exemple – » pour poser un espace qui s’échappe par le haut du texte. Bref, visualiser la forme spatiale du texte plutôt que jouer avec la musicalité et le rythme des mots, comme dans le RAP (acronyme signifiant rythm and poetry) ou la chanson.

Indubitablement, je visualise la forme des textes bien avant de travailler la musicalité des mots.

Je me demandais comment vous procédiez à cet égard »

2 – Première réponse par Cédric le 6 août 2008

« Je dirais que l’écriture est différente de la peinture, où tu peux peut-être concevoir une forme sans rythme, une distinction entre la forme et le rythme, et encore. Je veux dire, une forme montre un rythme, mais de manière abstraite en peinture, de sorte qu’on le conçoit sans forcément le sentir immédiatement. En écriture, c’est totalement différent.

Si j’avais à faire une distinction, je dirais que la peinture relève de la spatialité tandis que l’écriture relève de la temporalité. Ecrire, c’est avoir affaire au temps, au rythme, d’emblée. Du reste, un grand écrivain c’est quelqu’un qui arrive à montrer des rythmes du monde. La forme, en écriture, le formel est l’armature du rythme, d’emblée. Un grand écrivain, c’est quelqu’un qui arrive à capter des rythmes du réel et à les montrer par la plume. Et pour ça, il joue avec la forme, c’est à dire avec les tronçons de phrases, l’alignement spécifique des mots….

 » Dans la pièce il y avait un établi sur lequel étaient posés ses gants, un marteau et une tronçonneuse. »

 » Dans la pièce : établi, gants, marteau, tronçonneuse ! »

En gros là par exemple on a le passage de Balzac à l’écriture contemporaine. Du descriptif à l’énumération terne. Parce que les rythmes de ces deux époques, sentis par les écrivains, sont différents. Le rythme contemporain suinte le désenchantement, par exemple. La grammaire, le linéaire sont défoncés. »

 

3 – Intervention de Bergame le Mer 6 Août 2008

« C’est une thèse qui me semble très intéressante. Mais pour moi, l’œuvre est une entité à part entière. Il me semble qu’elle n’a pas nécessairement à rendre compte d’autre chose que d’elle-même. Qu’elle exprime quelque chose de son époque, c’est contingent, peut-être inévitable, mais pas nécessaire.
Ainsi, selon moi, ce qui est le plus important, c’est l’alliance du fond et de la forme. Le rythme en écriture, par exemple, me semble devoir rendre compte de ce qui est dit, me semble devoir le manifester autrement, d’une manière plus directe peut-être, mais tendre vers une autre forme d’expression de ce qui est exprimé par le langage. Si je devais reprendre tes deux exemples, je dirais que j’ai tendance quant à moi, à chercher ce que l’auteur veut rendre lorsqu’il adopte tel rythme ou tel autre, et si ce rendu correspond à son intention -ce que je comprends de son intention. Ainsi, ta première phrase me semblerait par exemple intéressante dans un polar, c’est là une description qui vise à introduire une forme de suspens, à induire un questionnement dans l’esprit du lecteur : Qu’y a-t-il là de si important ? Ta seconde phrase est effectivement typique de l’époque contemporaine, mais peut-être parce qu’elle exprime l’accumulation des objets, une accumulation qui, justement, n’exprime rien d’autre qu’elle-même, « insensée » -je ne fais d’ailleurs que paraphraser ton « désenchantement ».
Je suis plus sensible à cela, personnellement, une forme de cohérence, de consistance, qui me semble d’ailleurs la véritable part de « travail » dans l’écriture.
En revanche, je crois être moins sensible à la musicalité, la sonorité, et aussi au processus d’évocation des mots. Je crois que je ne « visualise » pas, en fait, je n’ai pas d’image qui se forme lorsque je lis. Tiens, première fois que je réfléchis à ça. »

  (……….suite des échanges)

4 – Extrait d’un passage d’Alekhan le 7 août 2008

« …..J’aimerai maintenant aussi m’interroger sur ce que nous dit l’iconologie par exemple sur la peinture. Je crois que la peinture est nécessairement rythme, de fait la vitesse avec laquelle on passe le pinceau, l’agencement des couleurs, c’est au moins un rythme corporel, un rythme de travail (Pollock par exemple). Le tableau s’inscrit dans une durée, il en exprime une autre. la peinture s’inscrit donc aussi dans une temporalité. Une peinture, comme l’écriture est aussi nécessairement l’expression d’une période donnée, et donc d’une signification donnée. Mais un tableau peut aussi être une projection temporelle ou un retour sur le passé.

Monter sur sa chaise pour regarder autrement? Ensuite sur sa table, etc.

Pour l’écriture, je dirais que la projection mentale l’installe également dans la spatialité. L’écriture, la lettre, sa forme, son format, sa différence, les pleins, les déliés.
On peut penser l’écriture comme un croisement d’espace, espace d’incarnation, espace sémiotique, espace de projection, l’écriture théâtrale, espace d’incarnation mentale et physique par le verbe, la lecture…. »

5 – Conclusion de P. Rivière le 7 août 2008

« J’apprécie la diversité des points de vue auxquels vous avez contribué. Premièrement, quant à l’opposition forme et fond, l’argument qui m’a fait rejeter cette opposition pour penser l’écriture est le suivant. La tendance à associer la signification au fond est trop prégnante dans ce couple d’opposés et dans la mesure où nous considérons que la forme peut aussi transmettre une signification à sa propre manière, alors je percevais l’élément du fond déborder sur l’élément de la forme et la frontière me devenait floue et mensongère quant à l’expérience que je fais du langage. De plus, dans l’opposition du fond et de la forme, je crains de voir l’un exclure l’autre et le texte devenir soit radicalement positiviste, au sens d’une structure logique rigoureuse qui est le véhicule d’un système d’idées fondantes, soit radicalement insensé où le travail sur la forme devient dénué de tout sens quant au fond « rationnel » à la façon du surréalisme devenant un art niant l’art (désolé pour le vieux leitmotiv situationniste).

Puisque je ne me sens ni dans une humeur pédantesquement scolaire, ni révolutionnairement artistique, je me suis décidé à former une nouvelle opposition par ce rapport de la forme et du rythme. Personnellement, je mets beaucoup plus l’accent sur la forme, mais cela dépend des personnes, et surtout des visées. Ne me sentant pas particulièrement attiré par l’écriture littéraire classique où je chercherais « à montrer des rythmes du monde », je tente plutôt de construire des labyrinthes philosophiques (et non des systèmes).

Dans ceux-ci, on peut dire selon l’ancienne opposition du fond et de la forme, que la forme transmet une partie du fond et que le fond n’est que le dévoilement des formes de la pensée; puisque pour moi la pensée ne va pas au fond des choses en soi, mais en dévoile la forme éternelle ainsi que son développement temporel. Ou on peut dire selon l’opposition de la forme et du rythme que la forme est le mouvement de la pensée même et que le rythme n’est que son vécu temporel; d’où la tentation de nier la forme de mon propre vécu de pensée pour l’universaliser. D’ailleurs, par la considération du rythme comme mouvement de la vie et d’une pensée orientée vers l’éternel, j’en viens parfois à opposer forme et rythme de la même façon que s’oppose éternel et vie (pensez à Faust, notamment); puisque la forme est le dévoilement de l’éternel et que le rythme est, comme je viens de le dire, le mouvement de la vie.

L’idéal serait une réconciliation de la forme et du rythme où leur spécificité ne sont pas perdues et où un troisième terme ne vient pas les subsumer, mais où les deux (forme et rythme) viendraient s’entretisser harmonieusement.

En ce qui a trait au labyrinthe philosophique, je donne un exemple de jeux amusants à produire et qui n’ont de limites que dans la créativité du créateur.

Dans un texte (titré: Hymne au nouvel an – en l’honneur d’un aphorisme de Nietzsche intitulé Sanctus januaris, si je me souviens bien) au total bien plus porté vers le rythme, un espace de forme est, malgré tout, ressorti comme suit:

« Seulement ainsi nos expériences partielles retrouveront leur réalisation dans la réalisation de l’art (souvenez-vous que – la réalisation de l’art doit – dépasser la subjectivité radicale) qui unifie dans la différence art et vie. »

Seulement ainsi nos expériences partielles retrouveront leur réalisation dans la réalisation de l’art (souvenez-vous que – la réalisation de l’art doit – dépasser la subjectivité radicale) qui unifie dans la différence art et vie.
Décrypté cela peut se lire ainsi: soit simplement comme une phrase normale, d’un bout à l’autre en respectant les parenthèses et tout (« Seulement ainsi nos expériences partielles retrouveront leur réalisation dans la réalisation de l’art qui unifie dans la différence art et vie »). Soit en accentuant la liberté du lecteur dans sa lecture du texte et en lui proposant de déconstruire pour mieux reconstruire le texte; on peut ainsi lire diverses options : soit laisser tomber la partie avant la première parenthèse et faire sauter les parenthèses et les tirets (« Souvenez-vous que la réalisation de l’art doit dépasser la subjectivité radicale qui unifie dans la différence art et vie. »); peut-être lire seulement dans la parenthèse sans les tirets comme un espace de murmure dans le corps normal du texte (« souvenez-vous que la réalisation de l’art doit dépasser la subjectivité radicale »); (ou bien prendre seulement ce qui est tirets (« la réalisation de l’art doit ») – ceci voulant signifier le mélange entre art et impératif moral tout en ouvrant le questionnement par une suite naturelle laissée vacante et dont la continuité est ouverte à chacun; ou bien laisser tomber ce qui est entre tirets et avant la parenthèse (« Souvenez-vous que dépasser la subjectivité radicale qui unifie dans la différence art et vie. »); il y a peut-être d’autres possibilités dont je ne me souviens plus. Ceci pose différents problèmes techniques quant à la fluidité du texte comme dans le dernier cas où il faudrait enlever le « qui » pour saisir le sens, mais ces difficultés sont les écueils naturels de ces tentatives d’écritures.

Quoi qu’il en soit de ces essais et erreurs, différents principes orientent le travail d’écriture. Laissez ouverte la liberté du lecteur par rapport au texte; nulle sacralisation de l’écrit et du vouloir-dire de l’auteur. Polyphonie des significations qui se meuvent en perspectives de lectures selon les choix du lecteur et qui sont généralement définis par la propre pensée du lecteur qui voit signifié uniquement ce qu’il est à même de comprendre (car comment un ensemble de traits sur une page pourrait nous faire comprendre ce que nous ne savons pas déjà, du moins de façon latente). Redécouverte de l’unité philosophique (le centre du labyrinthe) qui guide la pensée à produire autant de chemins unifiées dans une même phrase, un même chapitre ou un même livre. Jeu de l’un et du multiple, du pli et du dépli, de l’unité de la pensée et de la multiplicité de ses formes d’expressions.

On peut aussi voir cela comme une forme de cryptage, mais c’est surtout un amusement dans la stylisation de ce qui est à penser, et la sentiment d’une absence totale d’urgence quant à ce qui doit être pensé. Donc, la liberté de se réjouir dans l’écriture, que ce soit par le moyen du rythme ou des jeux de formes voilés et dévoilés.

La dimension labyrinthe ouvre un parcours que le lecteur peut parcourir librement et la dimension philosophique l’installe dans un univers où la pensée constitue la matière du labyrinthe. Par ailleurs, mélangé une écriture labyrinthique avec les formes de l’imaginaire mythique serait aussi sinon plus intéressant.

En définitive, c’est une façon de faire des espaces de croisements, ou des croisements d’espace si vous préférez. »

6 – Conclusion de Cédric le 8 août

« Il me semble que oui, même si évidemment tout est intimement lié. Il me semble que le primitif, le plus intime, c’est le temps, pas l’espace. Heidegger a écrit Etre et Temps, pas Etre et Espace. Ce qui palpite en nous, nos rythmes, sont temporels, pas spatiaux. Un rythme spatial ne veut rien dire, c’est une contradiction in adjecto, dans les termes. L’espace est au degré zéro du temps. Si bien que rejoindre l’espace équivaut à s’émanciper du temps pour vivre du point de vue de l’objet, point de vue intemporel. L’objet, l’espace n’a d’intérêt qu’en tant qu’il est perçu, c’est à dire vécu, c’est à dire approché par le temps…devrais-je dire…par l’Etre.

Il me semble que l’écriture est plus riche que la peinture, de par ce fait qu’elle est plus intimement liée au temps, au rythme. »

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