Monologue de Léon

bord de mer

Le monologue de Léon

 

            Ça y est. La mer; enfin. Ici c’est tellement plat. J’ai de l’eau au mollet. Personne. Juin. Pas encore la saison. Que c’est tranquille ! J’aime ce temps clair et sans vent ! Germaine, derrière moi, doit apprécier et regarder l’horizon. Comme moi. L’eau est sombre là-bas. Germaine, derrière comme toujours. Pourtant, je la force pas. Depuis le temps. Cinquante ans déjà, à peu près. Pas la peine de me retourner. Je la connais si bien. Quand je pense qu’elle a été si fine, elle qui aimait la baignade. Il y a longtemps, c’est vrai. Maintenant c’est moi qui insiste. Je dis : « on y va, chérie ? » Pas de vent. Des petites vagues passent. Ça sent bon.Mes pieds s’enfoncent. Le sable est doux. Drôle de petit bruit. J’aime.

            Je vais piquer une tête. Ça c’est sûr. Germaine est restée habillée. Je la comprends pas. Maintenant elle met un pantalon. Du coup on voit son ventre. Elle est pas la seule. C’est la mode. Ah ! Les femmes ! Nous sommes vraiment seuls sur la plage. Étonnant. Pas de gamins qui crient, qui jouent dans l’eau. Et nous deux plantés là à regarder l’horizon.

            Je piquerai une tête. Bientôt. On a le temps. Il est pas encore midi. Cent mètres à avancer et je perds pied. Pas un enfant ici. Nous, on devrait être grands-parents. Germaine s’en plaint. Moi, je dis rien mais je regrette aussi. Où est le Botswana ? C’est là qu’est l’aîné. Médecin.

            Il va falloir que j’y aille à la baille ! Tiens, un petit poisson. Y en a plus guère. Au Botswana, doit y avoir au moins un lac. Que fait Jean-Michel le dimanche ? Pas plus marié qu’Émilie. A cause de nous ? Ça se pourrait. Les deux pas mariés et pas d’enfants. Et nous pas de petits-enfants. Émilie qu’est maintenant Femen. Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu ? En tout cas, aujourd’hui, il nous gâte.  Le soleil tape. Les épaules vont me bruler.

            Tu y vas, vieille carcasse ? On a le temps, bordel. Après on va se taper un gueuleton. Germaine va râler pour le principe. Quelle chouette journée. Femen,  Émilie ? Quelle mouche l’a piquée ? Seins nus chez les musulmans, c’est de la provoque. Pourvu qu’elle se chope pas une peine trop grave. Germaine n’en vivrait plus. Moi je dirai : « bien fait, ma fille, t’en fais trop. » 

            Alors j’y vais ? J’ai les pieds au frais et le crâne qui chauffe, un vrai palmier. Pas mal les oasis. J’ai aimé. Germaine aussi. La Vendée c’est mieux pour son cœur à Germaine. Tant pis pour moi. Quand même Émilie  femen ! Qui l’aurait prévu ? Pas moi. Ça me soucie quand même. J’ai pas l’air. Je les aime mes gosses. Mais pas de petits-enfants pour nous. Quand je les verrai, je les engueulerais. Il est temps que je sois grand-père.

            Et puis, merde, je me fous à l’eau. Elle est froide cette flotte !

                                                                                                                                                Jean Sebillotte

juin 19th, 2013 par