Lire Saint-Simon

D’abord, pourquoi lire ?  saint-simon-memoiresJe propose un détour : pourquoi écrire ? Une de mes réponses est que j’écris pour explorer le monde. Cela vaut surtout pour mes romans qui me permettent d’approfondir un aspect de la réalité et même de créer un ajout imaginaire à cette réalité. Un roman appartient au monde, ne serait-ce que parce que la Bibliothèque nationale en garde deux exemplaires… Fred, pour moi, fait partie du monde comme la famille Dautheuil. N’en est-il pas de même pour la lecture qui permet, elle aussi, d’explorer le monde ?

Pourquoi lire Saint-Simon, duc et pair ? C’est se plonger dans la vie de la cour du roi Louis XIV puis du Régent. C’est suivre la démarche d’un homme qui voulait que son propre monde subsiste et que nous en partagions la mémoire. Qui n’est pas intéressé par l’histoire de France perdra peut-être le sel de ces Mémoires. Mais, peut-être, peut-on lire Saint-Simon simplement pour se régaler de son fameux style.

Lire Saint-Simon c’est aussi satisfaire un libraire fort sympathique chez qui j’ai trouvé l’anthologie dont il m’a fortement conseillé la lecture. Grâce à lui, j’ai réparé partiellement une lacune de ma formation littéraire qui a été fort incomplète et que, sur le tard, je m’efforce de compléter comme certains de mes proches qui à un âge avancé continuent à perfectionner leur langue anglaise, espagnole ou allemande.

J’ai commencé le bouquin par le milieu au moment où le duc nous conte la mort de la Dauphine puis celle du Dauphin qui lui étaient très proches, une mort terrible aussi, à divers égards, pour le Roi, pour la cour, une mort qui a privé la France de successeurs destinés à devenir roi et reine de France, formés pour cela, une mort qui a conduit à une régence, le futur Louis XV étant bien jeune.

Je ne pensais pas être pris à ce point par ma lecture. C’est dû au fond bien sûr, mais probablement  plus encore au style que l’on m’avait vanté. Qui suis-je pour qualifier ce style qui n’a d’égal selon les Goncourt que celui de la Bible  et des auteurs latins ? « Saint-Simon ? Un des grands stylistes avec Proust » m’a dit une amie fort compétente dans le domaine. Dans la préface de l’anthologie, François Ravez cite un certain nombre d’admirateurs de Saint-Simon : Chateaubriand, Hugo, Balzac, Michelet, Sainte-Beuve, Flaubert, les frères Goncourt, Stendhal ( «… les épinards et Saint-Simon ont été mes goûts durables »). Proust « fera des Mémoires l’un des textes-sources de La Recherche », écrit le préfacier qui cite aussi Valéry écrivant : « Dans une clandestinité absolue…, Saint-Simon invente pour ses Mémoires cette langue extraordinaire dont la morsure et les longues phrases, formées d’étonnants raccourcis, émerveilleront les connaisseurs de l’avenir ».

Après cela, comment pourriez-vous ne pas lire au moins cette anthologie, qui n’a que 1478 pages,  à défaut des huit tomes de la Pléiade ?

Jean Sebillotte

novembre 13th, 2016 par