octobre 23rd, 2020 par Jean Sebillotte

Il avait lentement, longuement, difficilement, écrit. Il avait repris dix fois, vingt fois même peut-être, les pages écrites. Il avait pesé les mots, modifié son plan, raccourci ou allongé ses chapitres. Plus il allait plus l’écriture le satisfaisait, moins il pensait son texte publiable. Une diffusion même pour ses proches, surtout pour ses proches d’ailleurs, lui semblait inutile. Serait-il compris ? Que leur apporterait-il ? Pourtant c’était  pour eux qu’il s’était lancé ? Pour ses proches ? S’il le croyait au départ, Il en doutait de plus en plus. En réalité il écrivait pour lui – n’écrit-on pas pour soi d’abord ? Pour soi, pas pour les autres.

Une fois l’aventure terminée, il n’éprouva plus l’envie de communiquer ce qui était pour lui le résultat de tant d’efforts. Que faire de cette œuvre ? La question ne le taraudait plus. L’écriture l’avait soulagé, guéri même. Il doutait de l’intérêt pour les autres de cette plongée intime.

Devait-il brûler l’œuvre ?

Il ne le savait pas.

Il l’imprima, la relia, la fourra dans un tiroir. Il en garda le texte dans un des dossiers du ventre de son ordi, là il enfouissait ses textes. Peut-on demander à un écrivain de détruire son œuvre ? A un peintre de brûler ses toiles ? Ecrit-on seulement pour soi ?

Des années durant, il se posa cette question : dois-je détruire ce texte tellement intime ? Le lecteur risquera de le juger inconvenant, exhibitionniste, impudique et prétentieux, pire, insignifiant !

Il mourut sans la réponse car il n’avait jamais fait lire ce document.

N’était-ce pas la preuve de sa pusillanimité qu’il s’était reprochée toute sa vie ? Un véritable écrivain a le courage, qu’il n’eut pas, de détruire son œuvre ou de la publier. Ne rien décider n’est-ce pas la preuve d’une peur irraisonnée mais bien présente encore ? N’était-ce pas la preuve qu’il n’avait pas complètement guéri de l’anxiété qui le poussa, jadis, à écrire ce récit ?

Ses descendants placeraient-il les lignes qui précèdent en tête du récit qu’ils publieraient ?

L’auteur le souhaitait sans se l’avouer.

Pirouette d’écrivain, assurément.

JS

Publié dans Ecriture, Nouvelles Etiquette: , ,