Le titre de ce livre d’Hervé Bichat est accrocheur. Il doit se comprendre ainsi : pas de salut pour l’Afrique sans le souci de son agriculture. Pour un ancien de l’Afrique du Nord, le titre est trop large, mais il en va de l’Afrique comme de l’Amérique. Pour beaucoup l’Afrique est noire, le reste ce sont les pays arabes…Ici, l’auteur précise que sa référence est surtout l’Afrique de l’ouest. Agronome, il en parle en connaisseur, lui qui y a vécu, qui a créé et dirigé le CIRAD (centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement) puis a été à la tête de l’INRA avant de diriger l’enseignement agricole français ce que précise la quatrième de couverture.
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La première partie, « L’Afrique n’est pas maudite », réussit le tour de force de dresser un « portrait » très documenté du sud du continent, pourtant tellement hétérogène. Cette partie ramassée (93 pages) a le mérite à mes yeux incompétents de relier présent et passé, de souligner les handicaps et les chances. H. Bichat ne craint pas de comparer entre eux les continents (et leur histoire) sans tomber dans le simplisme. La synthèse est remarquable : cette partie à elle seule mérite la lecture du livre !
La seconde partie de l’ouvrage, moins étoffée ― « Quelques problématiques agricoles africaines » ―, s’adresse à un public plus restreint, plus averti, me semble-t-il.
On y retrouve René Dumont et son livre célèbre (L’Afrique noire est mal partie) dont H. Bichat fait une analyse soigneuse, comme il fait état des erreurs de la banque Mondiale trop exclusivement inspirée de l’Ecole de Chicago qui imprègne la pensée libérale actuellement dominante. Il s’appuie sur l’expérience de la politique agricole commune (la PAC). Il faut de l’Etat à l’agriculture, à ce stade de son développement au moins.
Trois grandes conclusions pour l’action : redonner la priorité au long terme, adapter les régimes fonciers à leur nouvel environnement agro-écologique et social, faire émerger des marchés régionaux agricoles.
HB termine par un appel à « soutenir l’agriculture africaine, car elle sauvera le continent ! » Ceci en respectant les contraintes propres au temps et à l’espace et en convoquant « le meilleur de la recherche agronomique mondiale. »
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C’est là un défi lancé aux Africains et au reste du monde, en gardant présent à l’esprit que ceux-là seront bientôt deux milliards et qu’il auront à se nourrir.
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Ce livre m’a particulièrement concerné car je connais Hervé Bichat depuis 1957 à l’Agro de Paris. Nous ne nous sommes jamais perdus de vue même si mon parcours professionnel a été métropolitain et plus modeste et n’a croisé le sien qu’en fin de carrière.
J’ai connu René Dumont. J’ai fait avec lui et quelques professeurs, comme élève, un tour de Bretagne, qui m’a marqué pour toujours. La compagne de R. Dumont m’a envoyé à la place de son compagnon alors en fin de vie, une lettre émouvante en réponse à un courrier où je lui faisais part du décès de mon beau-frère, Jacques Moineau, qui a consacré sa vie à l’Afrique francophone et tout particulièrement au Mali où il a rencontré sa femme Aminata. Jacques a été un de ces coopérants passionnés par le destin de l’Afrique. Toujours sur le terrain, il a milité sans relâche pour que les paysans aient la possibilité de prendre en main leur destin. Combien de fois a-t-il pesté contre la Banque Mondiale, contre les programmes plaqués de l’extérieur sur cette paysannerie qu’il a aimé de toutes ses forces.
Ceci dit je ne connais pas physiquement l’Afrique noire ! Néanmoins je me retrouve dans ce livre dont je conseille ici la lecture.
Je connais bien le problème de la faim en Afrique puisque j’y travaille au sein de TECHNAP. Améliorer l’agriculture en Afrique sera de toute façon insuffisant. Il faut résolument se tourner vers le tilapia, le poisson le plus vendu dans le monde, le moringa, l’arbre-légume « miracle », les insectes comestibles et la spiruline, la cyanobactérie riche en protéines. Tous ces programmes sont lancés et se développent plus ou moins inégalement selon les pays. L’acceptation du consommateur reste encore un problème sur lequel nous planchons : exemple des dragées à la spiruline au Burkina.