Ce livre remarquable, dont j’ai inséré les deux couvertures dans cet article, traduit la trace profonde laissée par Michel, mon frère, décédé le 7 avril 2010. J’ai été associé à cet hommage qui comprend une introduction intitulée « Vie et œuvre de Michel Sebillotte : quelques repères » rédigée par Jean Boiffin.
Je participe à ce livre par un article sur la genèse de Ferti-Mieux. J’étais à ce moment -là, au ministère de l’environnement, l’animateur d’une équipe, » la mission Eau-Nitrates « , chargée d’animer l’action qui débutait pour limiter la pollution des eaux par les nitrates et phosphates d’origine agricole (qui sera étendue plus tard aux pesticides). A ce titre, la mission assurait le secrétariat d’un comité (le Corpen) rassemblant toutes les personnes morales et physiques concernées. Mon article traite donc d’un aspect particulier de l’action où Michel a joué un rôle majeur. Mais j’ajoute ici ce que je n’ai pas écrit : le Corpen et la mission avaient largement préparé le terrain, mobilisant beaucoup des agronomes de terrain qui avaient été formés par Michel et son équipe d’enseignants de l’Agro, et finançant de nombreux travaux effectués dans la France entière. J’ajoute aussi que j’’étais moi-même membre des deux comités qui « géraient » l’opération Ferti-mieux.
Mais notre collaboration à tous deux, nos relations étaient plus anciennes. Je pense intéressant ici de donner un complément à l’article de Jean Boiffin et un aperçu sur mon propre parcours.
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Michel et moi étions les aînés d’une famille de cinq. Du fait de la guerre, de facteurs propres à lui, Michel était en retard dans ses études et moi en légère avance. Pour mes parents il n’y avait pour nous qu’un collège possible, près de Tunis , qui se muait en un simple internat quand, à partir de la 3ème, nous allions au lycée de Carthage. Ainsi, malgré les deux ans qui nous séparaient, nous nous sommes trouvés dans la même classe, de la 6ème à la première. Michel resta ensuite en France pour la terminale et moi en Tunisie. J’y fis avec succès Sciences Ex. Il me fallut cependant refaire une année de terminale en France pour entrer en préparation au lycée Henri IV. J’y rejoignis mon frère qui avait repris une année d’avance…Mais lui en cube, moi en carré, nous nous sommes retrouvés dans la même classe ! Encore une fois ! Puis condisciples à l’Agro !
Etrange destin dont je tairai ici les arrière-plans, sauf pour souligner combien il a impliqué de rivalité et de complicité. De là vient à mon avis une partie de la rage au travail de Michel, de sa volonté de réussite. De nos parents aussi, car les cinq enfants sont des acharnés, me semble-t-il.
Ce que dit Jean Boiffin sur Maknassy (l’exploitation créée par mon père, gérée par lui avec l’appui constant de ma mère) et le rôle paternel est justement souligné pour Michel.
Il l’est pour moi !
J’ai dans ce blog fait largement mention du 6ème tome des mémoires paternelles. Le lecteur peut s’y reporter, puis les commander et se mettre à lire. Il comprendra.
Michel, très tôt, comme aîné, se voyait en « repreneur », en « successeur potentiel ou associé » de mon père qui lui a clairement signifié que la ferme (mot impropre toujours utilisé) ne pouvait pas faire vivre deux ménages.
Si mon frère aîné voulait être agriculteur et à défaut peut-être agronome, je ne voulais pas du tout devenir agriculteur, mais pourquoi pas agronome ? L’économie agricole m’attirait, un peu pour les mêmes raisons. Mon père nous a bien inculqué (plus par l’exemple de sa vie, et l’exposé de ses problèmes que par une pédagogie particulière) que tout se tenait. De là vient notre conscience aigüe de la notion de « système. » Ma vocation pour l’économie est, elle aussi, fondée sur le fait que tout se tient dans une exploitation agricole. S’y ajoute la perception très vive de l’importance de l’argent pour un agriculteur. C’est à Maknassy que j’ai appris cette loi essentielle qui veut que le dernier quintal fasse le revenu. Plus tard j’ai dû expliquer aux écolos qu’il était rationnel de mettre plutôt trop d’un engrais azoté peu cher que de risquer de perdre les derniers kilos ou quintaux d’une céréale (toutes choses égales par ailleurs) !
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Ce détour pour éclairer les tous débuts professionnels de Michel. Il se trouve ― et cela complète sa biographie ― qu’il s’est d’abord tourné vers Valdeyron connu en Tunisie dans notre jeunesse puis subi comme professeur de génétique. Avec lui Michel se faisait ch…à compter des drosophiles. C’était, je pense, avant son service militaire. Je suivais un an après lui mais sans que nous en discutions. Nous vivions notre vie (enfin ?). L’arrivée d’Hénin (j’en reparlerai) s’annonçait. Les « vieux assistants » n’avaient aucun avenir. L’un d’eux, Fraigneaud, m’a dit « les Sebillotte on vous aime bien, il y a une place pour l’un de vous à la chaire. » J’en ai un souvenir assez vif et ce sont à peu près les termes employés. J’étais quant à moi en fin d’agriculture-élevage (3ème année) et même de l’ENSSAA (4ème année). Le service militaire était à accomplir. J’avais hésité à entrer à l’INRA-Economie. Bergmann (professeur d’économie rurale de l’Agro) m’avait conseillé la voie technique. Je pensais entrer à la SARV (conçue comme un service régional étatique de « développement agricole » pluridisciplinaire, qui se serait appuyé sur la recherche d’une part et sur le conseil agricole départemental, d’autre part). Beau projet mort-né !
Michel finissait son service militaire. Je lui ai transmis l’info. Là s’est arrêté mon rôle. Ceci se situe en amont de la rencontre Michel–Hénin relatée par Jean Boiffin.
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La SARV n’ayant pas vu le jour, je suis devenu prof. durant six mois en collège agricole (à Châtillon-sur-Seine), puis assistant d’économie rurale à Grignon (domaine : gestion de l’exploitation). Michel assistant à l’Agro, moi à Grignon…Beau parallélisme ! Une voie bouchée pour moi…J’ai ripé ailleurs. Toujours dans des domaines où l’exploitation agricole était l’unité centrale de mon action.
Nous n’avons jamais cessé nos relations sur le plan professionnel. Ainsi Michel m’a mis en relation avec une boite d’études avec laquelle il avait travaillé (en Afrique Noire, notamment), m’a introduit pour un long article au journal de la France Agricole dont il était, à l’époque, un collaborateur permanent (voir sa biographie). Plus tard, j’ai pu, par exemple, recruter des élèves de Michel, participer à certaines formations à sa demande. Plus tard encore je suis intervenu dans des sessions de la Relance Agronomique. Une fois au ministère de l’environnement, j’ai pu aider financièrement pas mal d’initiatives de terrain, divers colloques, dont l’un d’hommages à Hénin. J’ai pu discuter avec Michel de ma démarche et, par exemple, du bilan de l’azote pour une exploitation, outil créé par la mission Eau-nNtrates (et qui doit beaucoup à P. Bédékovic) et largement utilisé ensuite par les agronomes de terrain, outil qu’il rebaptisa « Balance ». Pour lui ce n’était pas un bilan…Et pourtant…
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Un mot sur Stéphane Hénin. Ce chercheur de l’INRA a été, un moment, professeur à l’Agro. Je l’ai vraiment connu au ministère de l’environnement. Membre du Corpen, il jouait un rôle important dans ce ministère pauvre en hommes mais avec des crédits de recherche. Grâce à lui, j’ai pris contact avec la recherche scientifique agronomique de l’époque. Il a été un guide avisé. Malgré ses 80 ans, c’était un homme dynamique. Je lui dois beaucoup…comme Michel.
J’ai été économiste, spécialisé en gestion, membre de la Société Française d’Economie Rurale. Micro-économiste, j’ai traité de pas mal de sujets qui concernaient l’exploitation agricole au sens « classique » du terme. J’ai été très impliqué dans la naissance de la gestion financière de l’exploitation agricole, puis suis revenu à l’agronomie par le biais d’un Corpen dont je pense avoir orienté correctement de nombreux travaux et prises de position. Au ministère de l’environnement j’ai été aussi chef du bureau des eaux souterraines et devais suivre les affaire d’eau potable…L’agronomie et l’économie m’ont alors bien servi !
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C’est dire combien cet ouvrage collectif remarquable a de l’importance pour Michel et pour moi. Je recommande sa lecture aux siens et…à mes futurs biographes !
Jean Sebillotte (novembre 2012)
PS- Ma mère aimait citer ces vers : « Gémir pleurer prier est également lâche / Fais énergiquement ta longue et lourde tâche / Dans la voie où le Sort a voulu t’appeler / Puis après comme moi souffre et meurs sans parler. »
Une fois enclenchée, la vie crée des obligations. C’est très (trop) tard que j’ai découvert peinture, poésie, écriture, mais j’ai aussi pris beaucoup de plaisir à mon travail professionnel dans lequel j’ai mis en général de la passion !
Thierry Doré a réagi à mon texte de la façon suivante :
« Je me garderais bien de faire des remarques sur un texte personnel !….
J’ai pour ma part terminé le dernier tome de Ksar el Ahmar. Outre le caractère instructif sur cette période et la même veine émouvante que dans les tomes précédents, on trouve aussi des points de vue agronomiques notamment sur l’expérimentation tout à fait intéressants, et dont je crois trouver facilement la trace (mais je me méfie aussi des erreurs de perspective) dans certaines idées fortes de Michel sur l’agronomie. Ainsi l’idée de la ferme-pilote, celle de l’expérimentation en milieu paysan, celle de l’adéquation de la production au marché, qui – pour ce que j’en connais, c’est-à-dire très peu – étaient certainement beaucoup moins présentes chez S. Hénin. Peut-être aussi l’art raisonné du contre-pied, si cher à Michel : après avoir convaincu tout le monde qu’il faut mettre en place une filière de tomates précoces, la conclusion que ce n’est certainement pas une bonne idée…
Bien cordialement,
Thierry »