Vous le savez depuis 2022, j’écris à la façon de Montaigne. J’avance dans mon second volume de Mes essais. Voici le chapitre 8 : Etre père comme Montaigne ? D’autres vont suivre...
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« Ai-je été, suis-je un bon père ? Question idiote peut-être que je me pose quand même. Nous ne cessons de lire des romans, de voir des séries, d’apprendre de terribles choses (inceste, pédophilie) qui mettent en cause des pères soit terribles, soit absents ou encore indifférents et indigents.
Une certitude : il n’est plus possible de se référer à Montaigne
qui, dans le chapitre 8 du livre II des
Essais, De l’affection des pères aux enfants, aborde la question de la paternité. Diable d’homme que ce Montaigne. Le chapitre se
présente comme une lettre à Madame d’Estissac. Le contexte social est bien
défini : il s’agit de la paternité des nobles qui ont des enfants qu’il
faut établir. Quelle attitude les pères devraient adopter ? Dans les
milieux pauvres l’enfant est plutôt une force de travail… On sait par
ailleurs que Montaigne n’a pas eu de fils qui aient vécu plus que quelques mois
mais une fille dont il s’est bien occupé. Laissons-lui la parole.
« Nous
devons bien accorder,
écrit-il, un peu à la simple volonté de
la nature, mais non nous laisser emporter tyranniquement par elle : la
raison seule doit avoir la conduite de nos inclinations. J’ai pour ma part un
goût extraordinairement insensible à ces propensions qui sont produites en nous
sans l’ordre et l’entremise de notre jugement ; c’est ainsi par exemple
que, sur le sujet dont je parle, je ne peux pas éprouver cette passion avec laquelle
on embrasse les enfants encore à peine nés et qui n’ont ni mouvement de l’âme
ni forme reconnaissable du corps par quoi ils puissent se rendre aimables.
Et je
n’ai pas supporté de bon cœur qu’ils fussent élevés auprès de moi. Une
affection vraie et bien réglée devrait naître et augmenter d’elle-même
avec la connaissance qu’ils nous donnent d’eux ; et alors, s’ils le
méritent, l’inclination naturelle marchant avec la raison, nous devrions les
chérir d’un amour vraiment paternel et porter sur eux, s’ils sont autres, un
jugement conforme en nous soumettant toujours à la raison, nonobstant la force
de la
nature. Il en va souvent tout
autrement, et la plupart du temps nous nous sentons plus émus par les
trépignements, les jeux et les puériles naïvetés de nos enfants que nous le
sommes ensuite par leurs actions bien faites, comme si nous les avions aimés
pour notre passe-temps, comme des guenons, non comme des hommes. Et tel leur
fournit bien généreusement des jouets dans leur enfance qui se trouve très chiche
à la moindre dépense qu’il leur faut quand ils ont à l’âge de la capacité. Il
semble même que la jalousie que nous avons de les voir paraître [dans le monde]
et en jouir quand nous sommes [nous-mêmes] sur le point de le quitter, nous
rende économe et avare envers eux : il nous est désagréable qu’ils nous
marchent sur les talons comme pour nous solliciter de sortir…
La paternité ainsi conçue appartient à un autre
âge et à une noblesse qui nécessitait d’hériter pour exister. La paternité y
était celle du patriarche qui transmettait fortune et titres, maillon dans une
lignée qui s’acharnait à s’élever socialement. Dans la suite du chapitre 8,
Montaigne nous donne moult exemples de l’avarice des pères, parfois des
vieillards, qui empêchent leurs enfants de jouer leur rôle social, avec souvent
de redoutables conséquences. Il nous dit aussi qu’il faut se marier assez tard
pour que le père et les fils ne se fassent pas d’ombre, et qu’il faut associer
les enfants à la gestion commune des biens tout en se gardant de lâcher les
rênes. Etc.
On sait qu’il séparait sa vie d’avec ses
maîtresses de sa vie d’homme marié. La mère avait un rôle bien défini :
fidèle, elle s’occupait des soins aux enfants.
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Pourtant évoquer Montaigne n’est pas gratuit, car il montre combien la société joue dans la vision que le père a de son rôle et combien la rivalité père-fils peut jouer… A creuser donc. »
avril 12th, 2023 par Jean Sebillotte