décembre 5th, 2014 par Jean Sebillotte

Espionnage

Ceci est une pure fiction et toute ressemblance avec des faits et des personnes réels  n’est qu’une coïncidence malencontreuse  (Note de l’auteur).

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 L’affaire éclata comme une bombe : un homme politique célèbre, H, aurait abusé d’une femme dans un grand hôtel de New York. Scandale mondial. L’homme était puissant. Il pouvait espérer une place de président dans son propre pays.  Certains de ses amis s’y employaient.

C’est ce que nous ont raconté les médias. On nous a servi une histoire qui révélait la faiblesse d’un grand leader. Voilà une star de la politique, qui aurait violé une pauvre femme de chambre. Quel délicieux fumet d’un scandale dans l’upper class ! Gravissime. Du pain béni pour ces États-uniens qui, s’ils ne badinent pas avec la morale sexuelle, adorent les armes à feu et s’en servent volontiers…Ne sont-ils pas d’hypocrites donneurs de leçons ? La violence OK,  but the sex is horrible.

Cette histoire a passionné les USA et le monde. Sexe, violence, pouvoir et argent, que rêver de mieux ?

Tout se passait en effet dans un monde où le luxe est banal et non dans quelque sordide ou anonyme banlieue. Et voilà un homme puissant condamné de façon préventive à de la prison et au bracelet électronique, gardé jour et nuit par des hommes qu’il devait payer ! Présumé coupable, à lui de se défendre ! C’est ainsi que vont les choses de la justice Outre-Atlantique.

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Inutile de repasser ici un feuilleton que certains ont suivi avec passion. Le « grand H », sortant tout nu de sa salle de bain, saute sur  cette pauvre F. qui,  cependant, a continué le ménage d’une autre chambre après avoir été ainsi violentée. H s’en va prendre tranquillement son avion. Il est arrêté à l’aéroport.

Pourtant, à écouter les infos à suivre les tables rondes, que sait-on d’objectif ?

C’est autrement qu’il faut aborder l’affaire..

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Seul Norbert Granger eut le courage d’affronter la  vérité en prenant les choses à l’envers. Il était parti de constats simples.

Les USA regorgeaient d’institutions d’espionnage plus ou moins étoffées. Les officielles, CIA , NSA et autres, mais aussi services de l’armée de terre, de l’armée de mer, de l’armée de l’air, jusqu’à des officines sans nom plus ou moins reliées aux précédentes, chargées d’espionner les instituts officiels… Bref aux USA, comme partout, il existait un monde de l’ombre qui bénéficiait soit de privilèges explicites, soit de complicités entre personnages très haut placés, des gens qui n’étaient jamais sur le devant de la scène et qui échappaient aux lois ordinaires.

Dans ce pays vertueux régnait l’omnipotence des instances judiciaires, avec un droit coutumier, avec des instances juridiques multiples jusqu’au niveau suprême, occupées à appliquer des lois contradictoires, empêtrées dans un maquis juridique toujours plus confus avec des situations inextricables.  Ainsi des humains étaient emprisonnés à Guantanamo,  au vu et au su de tous, sans pouvoir être jugés aux Etats-Unis eux-mêmes ! Ils étaient en effet hors du champ juridique… pour des raisons juridiques. Ils semblaient condamnés à demeurer là ad vitam aeternam, au vu et au su du monde entier.

Où était la justice là-dedans ? Qu’il jette le premier pavé, celui qui pourrait  expliquer cette situation. On croyait savoir ce qu’était  la Justice, cette valeur universelle, comprise de tous. Or les juges américains, eux, disait-on, ne jugeaient pas vraiment, ils arbitraient le combat qui se déroulait devant eux selon les lois en vigueur. L’accusé se défendait contre un procureur. Il pouvait passer des accords en indemnisant grassement les victimes réelles ou supposés.

Mais revenons à Granger.

La manière même dont le scandale avait été géré était tellement embrouillée que l’on pouvait penser que c’était exprès. Ce fut la conclusion de Granger : cet embrouillamini était une habile construction, un véritable jeu d’acteurs chevronnés.

Selon lui, tous, le « grand H », la femme de chambre, les avocats, le procureur, la police bien entendu, étaient de mèche. C’était une vraie pièce qui avait été jouée au monde entier. Ce n’était pas un complot comme certains l’ont cru mais une comédie fort bien montée, fort bien jouée.

Il faudrait un livre entier pour entrer dans les détails. Disons l’essentiel.

Le « grand H » est tout bêtement un espion ! Au service de qui ? Là Granger hésite. Il y a plusieurs pistes possibles. Pouvaient être en cause les services du Mossad et certains services américains. « H » aurait été recruté très jeune comme agent dormant, un agent que l’on peut « activer » des dizaines d’années après. Pour le recruter, les services auraient exploité des affaires qui pouvait compromette sa brillante carrière d’universitaire. Une fois devenu agent secret à son corpos défendant, il pouvait se révéler utile à certains moments pour les gens qui l’avaient piégé, d(utiliser cette vieille affaire oubliée de tous .

Cela Granger en faisait l’hypothèse car il est difficile de dépister un agent dormant !  Mais cette thèse expliquait bien l’imbroglio. Granger, s’il ne démontrait rien, donnait à ce propos des informations déroutantes qu’il serait trop long de détailler ici.

Résumons.

La  femme du « grand H » ? Elle était, elle aussi, un agent secret placé auprès de H, au point de l’avoir épousé. Cette femme, aimante certes, était aussi au besoin garde du corps et correspondante chargée de rendre compte.

L’agent traitant de « H » ? Un ex-conseiller de l’ambassade américaine à Paris, maintenant décédé, mais relayé aux USA, ce qui expliquait le passage à New York masqué par des considérations familiales.

F ? Cette femme était un agent du service américain impliqué, allié pour la circonstance à la CIA.

Les responsables de l’enquête ? « Approchés » de façon convenable, on leur avait vite fait comprendre qu’ils avaient affaire à une question touchant à la sécurité des USA. Ils étaient obligés d’obéir à de plus puissants qu’eux ! « Qui vous savez » couvrait l’affaire, leur avait-on dit. Les agents secrets ont le pouvoir d’enlever, de torturer, d’exfiltrer de leurs pays les ennemis du peuple américain. On parle de la Bastille. On daube sur le pouvoir absolu de nos rois… Qu’en est-il actuellement ? Pensez à Guantanamo.

Le procureur ? Un honnête élu, bien entendu mais lui aussi « averti » de son devoir.

Les avocats ? Tenus à l’écart. Ceux du grand H étaient assez fins pour deviner l’embrouille et s’en servir pour leur client, leur réputation n’étant entachée en rien. Celui de F. était surtout intéressé par l’odeur des dollars d’un procès au civil.

Les médias ? Manipulés et agités. Une telle affaire !

Le juge ?  Intègre et si ce n’est dupé, du moins empêché d’intervenir véritablement. Le système, nous l’avons dit, ne lui donnait guère de liberté.

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Avec cette approche de Granger tout ne devient-il pas apparent ?

F. accumule les fausses déclarations. Devient un témoin peu fiable. Le « grand H » joue la victime, ses amis pointent l’absence de la  présomption d’innocence dans la justice américaine. Il est  soutenu bien entendu par sa femme malgré des torts connus de tous. Il perd tout dans l’affaire : son destin national, son job du moment, sa réputation. Les services le tiennent toujours par des dossiers rendant impossible sa destinée glorieuse.  La police, elle, n’a rien à perdre : n’a-t-elle pas très vite agi sans égards pour le puissant H ? Cela ne rassure-t-il pas l’Amérique ?  Ses valeurs de Justice et d’Egalité des citoyens devant la Loi  sont sauves (il faut de temps en temps faire oublier les statistiques accablantes sur ce point). Même avantage pour le procureur.

Pourquoi monter un tel spectacle à ce moment-là ? Evidemment pour empêcher H, cet agent secret dormant, d’accéder au plus haut poste politique d’un pays qui est quand même un ami. Le « grand H » ne risque-il pas de devenir un danger pour les services secrets et pour les USA eux-mêmes ?  Il vaut  mieux « exécuter » l’agent sans le tuer, ce qui aurait eu des inconvénients évidents.

Le « grand H » peut-il se défendre ? Impossible… Il peut tout juste limiter la somme qu’il doit payer. Sa réputation est  perdue mais il est vivant !

Ayant établi ou plutôt rétabli cette histoire, Granger ne peut, bien entendu, ni l’exposer ni, encore moins, l’imposer à qui que ce soit, où que ce soit ! Il ne peut même pas écrire un livre. Les services veillent.

 Jean Sebillotte

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janvier 26th, 2014 par Jean Sebillotte

          

            Il existe des secrets de famille.

            Hubert Raucourt,  généalogiste amateur, laisse à sa mort, les dossiers de ses recherches. Dans l’un d’eux, il soulève le cas d’un certain Pierre qui porte son nom, d’une branche voisine de la sienne.

            Il s’aperçoit qu’il n’a rien au sujet de ce parent si ce n’est sa date de naissance. Il rencontre alors ses arrières petits-neveux. Les mieux informés lui font part de la légende familiale selon la quelle cet ancêtre était un mauvais garçon parti au Canada aux alentours de 1890 où il trouva la mort. Notre enquêteur est autorisé à fouiller dans la malle des vieux papiers conservés dans le grenier de la demeure ancestrale. Grâce aux lettres, il dispose alors d’un tableau évocateur. 

                Henriette, la mère de l’intéressé, veuve de son notaire de mari depuis 1880, devait élever ses enfants, Pierre, Clémence et Albert. L’étude était temporairement confiée au premier clerc. La famille vivait aussi du domaine rattaché à la demeure ancestrale. Mais les temps étaient durs : la fortune avait été laminée par la terrible crise des années 1880-1890, bien oubliée depuis. Henriette, au caractère épouvantable, adulait son fils aîné. Jeanne préparait son trousseau et Albert, au séminaire où il était  inscrit par mesure d’économie, se préparait à reprendre l’étude à sa majorité. Les Raucourt habitaient un modeste village bourguignon où se réunissaient et s’invitaient les membres de la petite société bourgeoise locale. Henriette faisait tout pour maintenir son rang, mais, à la maison, c’était la misère en col blanc. Dans ces mêmes années, le chef-lieu du canton devenait une petite ville ouvrière nourrie par le canal et surtout par le chemin de fer, un monde anticlérical et rouge. Pierre selon les lambeaux de la légende, ne faisait rien, si ce n’est de boire, de lutiner les filles et d’accumuler des dettes, ne voulant pas, apparemment, reprendre l’étude ou étant incapable de le faire. 

             Rien sur Pierre. Pas une lettre. Pas une allusion. Quittant les archives familiales, notre généalogiste, passant à d’autres sources, découvre que Pierre a vécu de 1905 à 1942 dans le Centre de la France comme artisan menuisier sans laisser d’enfant !

             Stupeur ! Questions.

            Comme tout historien mettant au jour le pan entier d’une affaire inconnue, fut-elle minuscule, Hubert se régale de ce secret soigneusement dissimulé. Selon lui, Albert est  un jeune homme, jaloux d’un aîné injustement adoré, qui a tout intérêt à ne partager qu’avec sa sœur les biens familiaux. Or c’est Albert qui, devenu notaire à sa majorité, s’occupe de l’héritage quand sa mère décède au début du 20e siècle et c’est encore lui qui, devenu maire, peut éviter de porter, en marge du registre d’État-civil de la commune, la mention du décès de son frère qui lui a été notifié en 1942. Très suspect !

            Dans un texte précis, Hubert, de sa petite écriture fine, relate que ses cousins ne veulent rien savoir de cette histoire car « on n’attente pas à la mémoire d’un mort. » Il écrit devoir abandonner ses recherches. 

            Albert, notaire et maire, reste donc pour ses descendants un homme intègre, très moral, très autoritaire, très rigide, d’une vertu sans faille. 

           Ce n’est pas tout. Hubert laisse aussi un texte où il tente d’expliquer cette étrange disparition  sans mettre en cause les turpitudes possibles de son frère. N’est-elle pas organisée avec son accord ? Pourquoi n’exige-t-il pas sa part d’héritage à la mort de sa mère ? Pour notre généalogiste, cet aîné, supposé disparu, a consenti à son exil sans retour. Peut-être à la suite d’un conseil de famille motivé par ses dettes, son inconduite, ou quelque chose de plus grave comme une rixe voire, ou, horreur, l’intervention du sous-préfet et des gendarmes parce qu’il s’est compromis dans une sombre affaire anarchiste.

            Nous, nous avons une autre explication à la fuite de Pierre : il a séduit une fille du pays, est le père d’un enfant né dans le coin – au village même, peut-être, la famille l’a éloigné alors avec son accord, tout en dotant la jeune mère et en s’occupant de l’enfant, il a des descendants en Bourgogne qui ignorent tout de lui.

            N’est-ce pas un comble qu’Hubert, qui a passé tant d’années à établir des filiations, taise l’existence possible d’une descendance de Pierre ? Poids du secret de famille sur l’inconscient de notre historien familial ? 

                                                                                           J. Sebillotte (décembre 2012-janvier 2013)

             

 

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