Nostalgie parfumée

Nostalgiques bouchées au chocolat noir

       Devant Charles, de petits machins noirauds, à l’assise cylindrique, dont la tête en coupole aplatie pourrait appartenir à de jeunes cèpes tête de nègre qui viendraient à peine d’émerger du sol. Ou bien, de tels bidules seraient-ils des boules de lave refroidie et craquelée, trouvées au flanc d’un de nos volcans démoniaques, ou, plus étrange encore, sur quelque planète inhabitée ?

La réalité est plus simple, triviale et ménagère. Ce sont des pâtisseries au chocolat, d’un noir homogène, d’une forme trop régulière pour être le fruit de la nature.

Annie les a confectionnées, ce matin même, pour son ami.

Il saisit l’une d’elles et la hume. Le parfum en est profond, exotique et brutal. Charles la soupèse. Sa légèreté lui suggère l’emploi de la farine. Son amie lui apprend qu’elle a utilisé aussi de l’amande en poudre, d’où la texture grenue du gâteau. Il en croque une bonne moitié qui emplit maintenant sa bouche. Sa langue explore le mélange savant et les miettes du gâteau. Il salive. Le goût du chocolat noir, amer et fort, domine celui, imperceptible, de l’amande délicate. Cette merveille odorante le renvoie à l’Afrique tropicale et à son enfance. Pour le consoler de peines enfantines, on lui donnait cette friandise cuite à la maison. Il en observait religieusement la fabrication et se réjouissait de la voir sortir du four à l’haleine sucrée et brûlante.

Charles avale la portion qui reste devant lui, avide de jouir de l’arrière-goût de cette petite chose savoureuse au parfum si prononcé. Il se ressert et se souvient, alors, de la tablette de chocolat noir que lui offraient, le dimanche, ses correspondants et qu’il dévorait le soir même après avoir retrouvé sa pension, incapable de maîtriser sa gourmandise et apaisant ainsi, peut-être, son chagrin d’avoir à reprendre la vie monotone et triste du pensionnat.

Il remercie Annie, l’embrasse et enfouit son visage dans sa chevelure noire dont il respire le parfum grisant.

– Que donnerait la même recette avec le chocolat au lait, se demande-t-il ?

Jean Sebillotte

février 5th, 2014 par