Lettre à une amie

Photo pour lette-la vagabondeVersailles le 30 mars

                Chère Yolande,

               

                Tu t’étonneras, je le pense, en recevant cette lettre. J’ai eu ton adresse par Micheline. J’ai su. Donc tu sais ce que je sais.

                Cette photo que je joins à cette lettre était glissée dans un album que je ne regarde jamais, sauf pour mes petits-enfants. « Qui c’est ça ? » m’a dit Romuald ― quel prénom ! ―, qui a dix ans. J’ai longuement cherché puis, je me suis souvenu. Ce fut un déclic comme celui de l’appareil qui a pris cette photo, un de ces excellents appareils de l’époque qui, en argentique, vous donnaient des clichés si précis.

                 C’était en 1939 aux Sables- d’Olonne, j’en suis sûr. C’est toi ! Qui d’autre ? Je me le suis demandé longtemps. Non c’est toi, ce ne peut être que toi. N’avais-tu pas quatre ans. N’étais-tu pas déjà l’aînée isolée que tu restas tout ta vie ?

                Tu avais la tenue de l’époque, petite chose regardant les rouleaux où, maintenant, surfent les jeunes gens.  Ce devait être à la fin août, en plein midi. Nous allions repartir à Paris. Ce sera encore la guerre.

                Nos deux familles se sont perdues de vue. Pourras-tu me donner des nouvelles des uns et des autres ? Enfin,  si tu en as l’envie.

                Je sais que, nous deux, ça n’a pas été facile à la fin. J’ai bien des torts, je le sais aussi. Nous étions bien jeunes, même moi ton aîné. Tu aurais bien des raisons de ne pas me répondre. Pourtant, tu es pour moi la première, j’ose dire la seule, qui ait jamais compté.

                Si  je sais encore compter, te voilà proche de tes 80. Ce sera le 5 avril. Tu vois, je me souviens de tant de choses. Je regrette le temps de notre enfance, des vacances, de l’océan. Pourquoi avons-nous grandi ? Pourquoi nous être retrouvés étudiants, trop jeunes pour engager notre vie entière ? Je parle pour moi, bien sûr.

                Je t’envoie cette photo maritime et intime comme j’enverrais une bouteille à la mer. D’après ton adresse, tu es dans une maison. Micheline n’a rien voulu me confier sur toi. « Elle te  dira elle-même ce qu’elle souhaite que tu saches. » C’est d’une sagesse cruelle à nos âges.

                Je vais bien et peux aller te voir. Je conduis encore. Mais souhaites-tu me revoir ? Cela t’épargnerait une longe lettre et te ferait de la visite.

                En attendant un signe de toi, c’est très ému que je t’embrasse.

                                                                                              Firmin

PS- Je n’ai pas voulu me relire. Je n’aurais pas été sûr de t’envoyer ce courrier !

juin 15th, 2013 par